Mali : la mort de Sadou Yehia soulève de nombreuses questions

L’assassinat de Sadou Yehia, un berger malien soulève de nombreuses questions aux témoignages contre les djihadistes. L’homme a été assassiné par un groupe djihadiste après la diffusion d’un reportage de six minutes au Nord-Mali par nos confrères de France 24.
Dans ce reportage, les visages sont à découverts, aussi bien ceux des militaires français que ceux des villageois. À la fin du reportage, Sadou Yehia témoigne en français le visage découvert et son nom écrit en bas de l’écran.
Sadou Yehia a été abattu par les djihadistes dans le Nord-Mali. Le berger dans le Nord-Mali a dénoncé dans un reportage de France 24 le racket que pratiquent les djihadistes. Le reportage en question a été diffusé le 13 janvier 2020. Plus d’un mois plus tard, soit le 5 février, le groupe djihadiste est arrivé au village. Selon Oumar, le neveu de Sadou Yehia cité par nos confrères d’Arrêt sur images, son oncle a été enlevé.
Sadou Yehia a été ramené trois jours plus tard où il a été froidement abattu devant sa famille. Des traces de tortures ont été retrouvées sur son corps. « Lorsque les terroristes sont venus au village [le 5 février], ils ont désigné mon oncle par son prénom et son nom. Il ne fait aucun doute [que ce reportage] a mis les terroristes sur sa piste », a déclaré Oumar, le neveu de la victime.
La direction de France 24 a réagi à l’assassinat de Sadou Yehia dans un message publié le 12 février. « Toutes les équipes qui avaient contribué à ce reportage, à Bamako ou à Paris, ont été profondément bouleversées », a écrit la direction du média dans le message.
Le média français réfute toutefois, les accusations selon lesquelles, le reportage qu’ils ont produit serait à l’origine de la mort de Sadou Yehia. Face à la mise en cause du neveu Oumar, France 24 répond : « C’est ajouter une accusation terrible et injuste à l’horreur. Les délais importants entre le tournage [le 12 décembre], la diffusion [le 13 janvier] et l’assassinat [le 8 février] montrent le caractère spéculatif de ce qui est présenté hâtivement par des commentateurs comme une causalité certaine. » Et la chaîne de télévision internationale d’ajouter : « Nous ne pouvons accepter d’être désignés comme les coupables [de cet assassinat] dans une inversion insupportable des responsabilités. »
Face à la situation, la question que beaucoup se posent est la suivante : Aurait-il fallu flouter le visage de Sadou Yehia ? Le chercheur français Yvan Guichaoua explique que les djihadistes n’ont pas besoin d’un reportage de France 24 pour être au courant de la présence de Barkhane dans un village. « Les terroristes n’ont pas besoin d’un reportage de France 24 pour savoir quand Barkhane débarque dans un village. Ils ont des mouchards et sont informés en temps réel de la présence des militaires français », analyse le chercheur français Yvan Guichaoua, cité par le site Arrêt sur images.
Il considère toutefois que c’est un scandale qu’il n’y ait pas de floutage dans le reportage car cela « augmente la vulnérabilité » des témoins comme Sadou Yehia. Dans la suite de son message, la direction de France 24 écrit : « Dans une zone où les terroristes savent tout et sur tous, sans délai, de la présence des militaires dans les villages à l’identité des habitants qui leur parlent, rien ne permet d’affirmer que le floutage de Sadou Yahia lui aurait garanti une quelconque sécurité. Dans ce contexte, l’anonymisation est illusoire. »
L’homicide de Sadou Yehia remet en question le recueil de témoignages en zone de guerres. Ces zones où les populations sont sous la menace terroriste et sont exposés à des représailles dès qu’elles osent témoigner. C’est d’ailleurs l’objet du reportage de France 24. Selon l’ONG internationale Human Rights Watch, près de deux civils maliens ont été assassinés au cours du dernier trimestre de l’année 2019. « Si la présence des médias met en cause la sécurité des habitants, la question qui se pose est alors celle de la couverture de la zone et du recueil des témoignages », a écrit France 24. « Il nous semble essentiel que les rares médias qui s’y rendent encore continuent de couvrir le quotidien des populations qui souffrent [face] à des groupes terroristes qui entendent poursuivre leurs exactions dans le silence et sans témoins », a-t-il poursuivi.
L’assassinat de Sadou Yehia montre à quel point les populations du Sahel sont exposées aux attaques terroristes. Pour tenter de reprendre contrôle sur la zone, les dirigeants du Sahel s’étaient réunis à Pau en janvier dernier.