Togo : le professeur Kako Nubukpo et la question du Franc CFA face aux étudiants d’Esgis

Le professeur Kako Nubukpo était le vendredi 13 mars 2020 face aux étudiants d’Esgis, en prélude de la 13e édition du Festival International les Lucioles Bleues (filbleu). La dite rencontre a essentiellement porté sur son ouvrage « L’Urgence africaine : changeons le modèle de croissance ».
En sa qualité de modérateur, M. Guy Missode a emmené le professeur Kako Nubukpo au cœur des questions qui ont meublé cette rencontre. M. Nubukpo a abordé un certain nombre de sujets importants dont il est question dans son œuvre « L’Urgence africaine : changeons le modèle de croissance », parue le 18 septembre 2019 aux Éditions Odile Jacob.
Le cœur de la question du retard de l’Afrique
Dans son propos, le professeur Kako Nubukpo a expliqué que l’économie de chaque pays doit évoluer selon un agenda adapté à son niveau de développement. Et donc les pays africains seraient en déphasage avec leur propre agenda en suivant l’agenda des pays occidentaux qui se sont déjà développés.
« Le reste du monde nous a imposé un agenda sur la base de ses contraintes à lui et pas sur la base de nos contraintes à nous. Et c’est pour ça que j’en appelle à une forme de redressement pour qu’on tienne compte de nos problèmes. C’est ça le défi de l’endogénisation du process du développement. Aucune nation au monde ne s’est développée en prenant l’agenda d’autrui », a-t-il laissé entendre. Dans la suite de ses explications, l’économiste togolais a indiqué « que l’objectif de la Chine, c’est de répondre aux problèmes chinois. L’objectif des États-Unis c’est de répondre aux problèmes des États-Unis. Et donc notre objectif à nous Togolais devrait être de répondre à nos problèmes. Mais tout dans notre façon de faire, dans notre façon d’être montre que ce n’est pas la priorité. Parce que, au fond, ce que nous apprenons, la manière dont nous formons nos élites, la manière dont nous nous imposons dans la société est liée à la manière dont les autres raisonnent ».
La question du franc CFA
Interrogé au sujet du franc CFA, Kako Nubukpo a expliqué comment cette monnaie freine le développement des pays africains. Il a dans un premier temps expliqué le mécanisme du développement d’un pays, afin d’amener son auditoire à saisir les contours du sujet. « Dans l’ajustement structurel, le seul rôle dévolu à la monnaie, c’est la lutte contre l’inflation. Sauf que, historiquement, les pays développés l’ont été grâce aux crédits, notamment crédits productifs parce qu’il fallait financer l’industrialisation. Et pour financer l’industrialisation, il fallait avoir de l’argent. Et comment ils ont accédé à l’argent ? Par la planche à billet. Ils ont fabriqué l’argent pour financer l’investissement. Et une fois que l’investissement se révèle productif, on rembourse le crédit. »

Comparant la monnaie à du carburant, Kako Nubukpo a démontré comment les pays africains sont à la traîne en suivant le modèle de développement occidental. « C’est-à-dire que la monnaie est comme du carburant, et vous avez un véhicule et pour qu’il avance, il faut qu’il y ait du carburant. Et quand vous bloquez ce carburant, vous ne pourrez pas avancer. Or pourquoi nous bloquons le carburant ? Parce que nous suivons les pays occidentaux qui eux ont déjà fait avancer leur véhicule quasiment à destination et n’ont plus besoin de beaucoup de carburant pour arriver à destination. C’est donc cet agenda que nous avons pris alors que nous ne sommes pas au même stade de développement qu’eux », a-t-il expliqué.
Dans un second temps, l’économiste togolais Kako Nubukpo a expliqué à travers une analyse approfondie mais simple, comment le CFA mine le développement des pays de la zone France. « La question du CFA, c’est simplement cette déconnexion entre le rôle que la monnaie devrait jouer dans un pays qui veut se développer et donc qui a besoin d’énormes ressources financières et le fait qu’il suive un agenda qui n’est pas le sien mais celui de pays qui ont déjà réglé cette question de développement. »

Kako Nubukpo a, une fois de plus tiré la sonnette d’alarme quant au frein que représentent les taux d’intérêts liés aux prêts que contractent les pays de la zone franc. En effet, ces taux d’intérêts étant plus élevés que les PIB des pays emprunteurs, ces derniers se retrouvent automatiquement avec de gros déficits, empêchant toute création de richesse. Il explique :
« Ne confondons pas les choses, nous avons besoin d’un instrument financier et monétaire pour financer le développement. Or quand j’observe les pays de zone franc, j’observe que les taux d’intérêts qu’on consent aux entrepreneurs sont très élevés, de 12 à 14 %. Comment est-ce que ces entrepreneurs peuvent rembourser ces crédits, si le coût du crédit est aussi élevé ? Et donc, tout notre combat c’est de dire : réduisons le coût du crédit pour que nos entrepreneurs puissent créer la richesse. Parce qu’en économie, vous avez une loi très simple : si vous voulez prospérer, le coût du crédit doit être inférieur à la richesse que vous produisez grâce à ce crédit, c’est le Produit Intérieur Brut (PIB). Donc si je prends l’exemple du Togo qui croît ces dix dernières années à un rythme de 5 % par an, pour créer ces 5 % par an, je dois payer un taux d’intérêts à 10 %. Difficile dans cette configuration de rembourser mon crédit puisque le rythme de la création de richesse est plus faible que le coût de création. C’est ça la question du CFA ; au-delà de tous les débats d’idéologies, la question pragmatique c’est comment on finance le développement. »
Kako Nubukpo
L’Eco
L’idée de la nouvelle monnaie Eco que souhaite adopter les pays de la zone UEMOA sera fort probablement une solution à une majeure partie des problèmes que rencontrent la plupart des pays membres de cette zone. Le professeur Kako Nubukpo a renseigné que le Nigeria est le pays qui devrait être le garant de l’Eco. À lui tout seul, il fait les 2/3 soit 65 % du PIB de l’UEMOA. Mais le fait est que l’économie nigériane et celle du reste de la zone UEMOA sont antagonistes. En effet, quand les exportations pétrolières du Nigeria se portent bien, les autres pays en pâtissent puisqu’ils paient les produits pétroliers à un prix élevé.
Rappelons que cette rencontre entre le professeur Kako Nubukpo et les étudiants d’ESGIS s’inscrit dans le cadre de la 13e édition du Festival International des Lucioles Bleues (filbleu). Le directeur artistique dudit festival, M. Kangni Alem, a profité de l’occasion pour annoncer le début du festival qui se tiendra à partir du lundi 16 mars 2020 à l’Institut Goethe, à Lomé.