Le 17 février 2020 s’éteignait Kizito Mihigo, artiste rwandais de la chanson gospel. Mihigo était auteur compositeur, chanteur, organiste – pour ne citer que ceux-là. L’artiste de 38 ans a été retrouvé mort dans sa cellule en prison. Ocean’s News vous retrace dans ce portrait le parcours d’un artiste qui toute sa vie s’est battu pour la paix, le pardon et la réconciliation au Rwanda.
Un cœur en or, en la personne de Kizito Mihigo, a cessé de battre au Rwanda. L’artiste qui aurait eu 39 ans le 25 juillet 2020 a été retrouvé mort le matin du 17 février dans sa cellule de prison. Si la police fait cas d’un suicide, les circonstances de sa mort restent encore mystérieuses.
Une enfance compliquée
Pur produit du Rwanda, Kizito Mihigo est né le 25 juillet 1981 à Kibeho, dans le district de Nyarugura. Troisième d’une famille de six enfants, ses parents sont Augustin Buguzi et Placidie Iribagiza. Il mène une vie relativement paisible jusqu’à ses 13 ans quand éclate le génocide des Tutsis au Rwanda.
En avril 1994, Kizito Mihigo quitte le Rwanda pour se réfugier au Burundi voisin, auprès des membres de sa famille qui ont échappé au massacre. Sa famille, restée au Rwanda, se fait tuer, faisant de lui un orphelin. À la fin du génocide en juillet 1994, Kizito revient au pays où il essaie de rejoindre l’Armée Patriotique Rwandaise. Son but, venger sa famille mais, il ne réussit pas à se faire enrôler et finit par abandonner.
Après ses études secondaires, Kizito Mihigo intègre le Petit Séminaire avec pour objectif de devenir prêtre. Dans la marche vers l’ordination, il apprend le pardon et finit par pardonner à ceux qui ont ôté la vie à sa famille.
Sa carrière musicale
Dès l’âge de 9 ans, Kizito Mihigo commence à composer des chansonnettes. Mais ce n’est que plus tard dans son adolescence, lorsqu’il est élève au Petit Séminaire de Butare qu’il devient l’organiste compositeur liturgique le plus populaire dans l’Église catholique au Rwanda. En 2001, il contribue à la composition de l’hymne nationale rwandaise.
Soutenu financièrement par le Président Paul Kagame, il intègre le Conservatoire de Musique de Paris où il suit des cours d’orgue et de composition. Après ses études, il s’installe en Belgique où il débute sa carrière musicale. Plus tard en 2011, il rentre dans son Rwanda natal où il s’installe définitivement. Il est régulièrement sollicité pour chanter dans toutes les cérémonies nationales de commémoration du génocide. Il devient aussi populaire de par ses nombreuses invitations pour interpréter l’hymne national rwandais, en présence du Chef de l’État et d’autres têtes dirigeantes du pays.
Dès son installation au Rwanda, Kizito Mihigo donne régulièrement de grands concerts où des milliers de fans se déplacent pour l’écouter. Parmi son public, on compte souvent des ministres qui honorent ses événements de leur présence. Mais très rapidement, ses relations avec les membres de l’administration rwandaise lui valent des critiques. En effet, ses fans chrétiens trouvent que sa musique s’éloigne de plus en plus des messages liturgiques qu’ils aiment pour se rapprocher de la politique. Fervent militant pour la paix au Rwanda, il compose plusieurs chansons sur le sujet.
Le militant pour la paix
Parmi les multiples casquettes de Kizito Mihigo, celle de militant pour la paix est la plus prépondérante. En effet, l’artiste a mené une lutte importante pour la paix et la réconciliation au Rwanda. Pendant son séjour en Europe, il fait la connaissance du Mouvement international de la réconciliation (MIR France), une ONG française qui prône la non-violence. En 2007, Kizito Mihigo organise à Bruxelles une Messe-concert pour la Paix en Afrique. Régulièrement, il organise des concerts de musique sacrée suivie par une Messe de Requiem pour les victimes de toutes sortes de violences dans le monde.
En 2010, Kizito Mihigo crée la Fondation Kizito Mihigo pour la Paix (KMP). Cette organisation non gouvernementale rwandaise prône la paix et la réconciliation dans le pays. Il entame avec sa fondation, et en partenariat avec le gouvernement rwandais, l’ONG World Vision et l’ambassade des Etats-Unis à Kigali, une tournée des écoles et des prisons du Rwanda.
Son objectif à travers cette tournée est d’éduquer la jeunesse aux valeurs de paix et de réconciliation et de créer des clubs de paix. Dans les prisons, l’artiste cherche à susciter un débat avec les détenus à propos des crimes commis, avant d’y créer des clubs de dialogue appelés « clubs de transformation des conflits ».
Ses nombreuses luttes en faveur de la paix lui ont valu en 2011 le prix CYRWA (Celebrating Young Rwandan Archivers) qu’il a reçu de la fondation Imbuto, organisation de Jeannette Kagame, la Première dame du Rwanda. L’Office rwandais de la Gouvernance (Rwanda Gouvernance Board) reconnaît, en avril 2013, la fondation Kizito Mihigo pour la Paix (KMP) parmi le top 10 des ONG rwandais ayant favorisé la bonne gouvernance. La Fondation reçoit à cet effet le prix « RGB award » de 8 000 000 Frw (huit millions de francs rwandais) soit 5 100 000 FCFA.
Kizito Mihigo a souvent été présenté par le président Paul Kagame comme un modèle pour les jeunes Rwandais.
La disgrâce de l’enfant prodige
En mars 2014, le chanteur Kizito Mihigo publie sur sa chaîne YouTube son tout nouveau titre « Igisobanuro cy’Urupfu » (La signification de la mort). Dans cette chanson, il critique la version officielle du génocide des Tutsis et réclame la compassion pour toutes les victimes dont celles du génocide mais aussi celles des vengeances. Très rapidement, la chanson est prohibée par les autorités rwandaises et aussitôt supprimée de YouTube.
Un mois plus tard, le 7 avril 2014, soit le jour de la 20e commémoration du génocide, Kizito Mihigo est porté disparu. Cinq jours plus tard, Faustin Twagiramungu, ancien Premier ministre, dénonce la détention illégale de l’artiste par la police à la suite de la sortie de sa chanson controversée.
Le 15 avril 2014, Mihigo est présentée aux médias par la police rwandaise. Il était accusé d’avoir planifié des attaques terroristes et d’avoir collaboré avec les Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR) et le parti politique Rwanda National Congress (RNC) en vue de renverser le gouvernement. Le parti dément fermement ces accusations. Alors que la police avait nié détenir Mihigo depuis une semaine, le site WikiLeaks révèle que le chanteur et activiste chrétien avait disparu le 4 avril, soit 10 jours avant l’annonce officielle de l’arrestation. Pour la majeure partie de l’opinion publique, l’arrestation du chanteur est liée à cette chanson critique sortie et interdite quelques jours plus tôt.
Quelques semaines avant l’arrestation, le Président Kagame a déclaré à une cérémonie de collation des grades aux officiers de Police, à Gishari (dans l’Est du pays) : « Je ne suis pas un chanteur pour divertir les ennemis de l’État ». Après l’annonce officielle de l’arrestation, le gouvernement rwandais interdit la diffusion des chansons de Kizito Mihigo aux radios et télévisions locales.
Pris entre les rouages d’un système bien huilé
Quelques heures après son audience le 21 avril 2014, Kizito Mihigo fait une série d’interviews « confession ». Dans la première, il plaide « coupable de tous les chefs d’accusation et demande à pouvoir être assisté par un avocat ». Dans une seconde interview « confession », il déclare : « avoir accepté l’idée de lire un communiqué dénonçant l’absence d’État de droits au Rwanda et appelant la jeunesse à se soulever ».
Son procès, à plusieurs reprises repoussé, finit par débuter le 6 novembre 2014 à Kigali. Le ministère public reproche à Kizito Mihigo d’avoir eu des conversations via internet avec un membre du Rwanda National Congress (Rwanda National Congress), parti de l’opposition en exil considéré comme terroriste par Kigali. Dans ces conversations écrites, le chanteur aurait suggéré un renversement du régime avec une liste de noms de personnes à tuer, dont le président Paul Kagame.
Kizito Mihito plaide coupable. Dans sa plaidoirie, il reconnaît avoir eu des conversations avec un dénommé Sankara. Il nie toutefois avoir eu l’intention de tuer le président et dit avoir engagé ces discussions par curiosité. « J’étais en conflits avec les officiels en ce moment-là, mais je n’ai jamais eu de problèmes avec le président », a rapporté RFI à l’époque. Pour ses avocats, cela ne constitue en rien un crime. Dès le deuxième jour du procès, le chanteur demande à être jugé individuellement mais peine perdue. Le ministère public réclame la prison à perpétuité pour Mihigo et ses coaccusés. Le troisième jour, en pleine audience, Mihigo renonce à ses avocats et continue à plaider coupable.
Le 27 février 2015, Kizito Mihigo est condamné à 10 ans de prison. Il est reconnu coupable de conspiration contre le gouvernement du président Paul Kagame. Par défaut de preuves, il est par contre blanchi de l’accusation de « conspiration pour terrorisme ».
Le 14 septembre 2018, Kizito Mihigo est libéré par grâce présidentielle.
Kizito Mihigo, la supernova
Le 13 février 2020, le chanteur rwandais est de nouveau mis aux arrêts. Il est soupçonné cette fois d’avoir tenté de traverser illégalement la frontière burundaise pour rejoindre des groupes rebelles.
Quatre jours plus tard, soit le matin du lundi 17 février, Kizito Mihigo est retrouvé mort dans sa cellule. Selon un communiqué de la police, il se serait pendu. Les autorités affirment avoir ouvert une enquête pour déterminer le motif de son suicide. Cette version de la mort de l’artiste est vivement contestée.
« C’est impossible parce que Kizito Mihigo était un chrétien. Il a des valeurs chrétiennes qui sont très profondes, il l’a montré dans ses chansons, dans ses actions. Il ne peut jamais se suicider. Aussi, il ne peut jamais rejoindre des groupes soi-disant terroristes ou des groupes armés parce que ça ne correspond pas à ses valeurs. Il avait des valeurs de pardon, de réconciliation donc, on est sûr à 100 % qu’il a été assassiné par la police », a expliqué l’activiste rwandais René Mugenzi. « Kizito croyait à la paix et à la réconciliation. C’est ce qu’il a enseigné dans toutes ses chansons et dans tous ses écrits. C’est tout ce qu’il avait en tête. Donc ces accusations sont fausses. »
L’activiste rwandais René Mugenzi
Kizito Mihigo était cet artiste-là, qui, par ses chansons arrivait à apaiser le cœur des Rwandais. Il restera gravé dans les cœurs pour avoir dédié toute sa vie à la recherche de la paix, du pardon et de la réconciliation au Rwanda.
Ni marié, ni père, il ne laisse derrière lui qu’une riche discographie qui ne mourra pas avec lui.
Source : wikipédia ; rfi afrique