Interview : Médissa Sama, « De servante à cheffe d’entreprise »

Son rendez-vous était pris pour 10:00. Hélas ! La pluie menaçait de gâcher cette occasion rêvée de pouvoir interviewer une jeune femme leader hors du commun. Dans cette interview, vous saurez pourquoi malgré le mauvais temps, je pris tout de même calepin et stylo pour aller vaille que vaille à la rencontre de cette personne si intéressante, au siège de son cabinet YiLiM, situé à Agbalépédo, un quartier de la capitale togolaise. Cette interview m’excitait tant que je pris de l’avance sur l’heure du rendez-vous : il sonnait 9h23min à mon arrivée sur les lieux. Après une dizaine de minutes d’attente – qui me parut interminable – je fus enfin introduit dans les bureaux de Médissa Sama…
De nationalité togolaise, Médissa Sama est née le 28 novembre 1988 à Kétao, dans la préfecture de la Binah. Entrepreneure, cheffe de plusieurs entreprises, formatrice, mentor et coordinatrice du programme à succès YiLiM (Yic Life Métamorphose), elle est également une femme qui se bat sans relâche pour la cause des femmes et enfants les plus vulnérables, via son association « Enfant Espoir Pour Tous ».
Son parcours ? Atypique et émouvant ! De vendeuse ambulante à servante dans des bars et restaurants, l’actuelle coordinatrice de plus de 100 jeunes entrepreneurs au sein du cadre CJEAF-CJD a fait du chemin avant de se tailler une place au soleil. Femme dotée d’une beauté rare, « elle a été tentée à un moment donné d’utiliser son corps pour se faire de l’argent, m’a-t-elle confié au cours de l’entretien. » Mais non, elle s’est construite une vie, de zéro à héro.
C’est donc l’histoire d’une fierté togolaise, d’une femme leader, d’une Amazone que vous vous apprêtez à découvrir dans cet entretien.
Lisez plutôt !
Ocean’s News : Médissa Sama bonjour, êtes-vous satisfaite de cette brève présentation ou avions-nous omis des informations importantes ?
Médissa Sama : Je vous remercie déjà pour cette présentation que j’ai vraiment aimée. Alors que puis-je ajouter si ce n’est que confirmer vos propos. Je veux juste préciser que je détiens un restaurant qui s’appelle la « Marmite du terroir », spécialisée dans les menus 100% Togolais. L’objectif visé derrière, c’est le retour à nos sources pour y puiser nos forces. Rappeler tous les plats de nos villages et que peut-être dans notre vie courante nous n’avons plus l’occasion de manger.
Ocean’s News : Nos lecteurs souhaitent découvrir dans les moindres détails la personne qui se cache derrière ce nom (Medissa Sama) loin des projecteurs.
Médissa Sama : Il faut savoir que je suis un être humain comme tout le monde, c’est-à-dire qu’en dehors de cette casquette de cheffe d’entreprise et de tout ce que vous venez de citer, j’aime la vie, j’aime passer du temps avec mes parents, je n’hésite pas à me jeter dans les bras de maman quand l’occasion me le permet, j’ai des amis, j’adore la lecture, j’ai aussi des passions récréatives auxquelles je me consacre par moment, j’aime aussi faire la cuisine, faire le ménage, participer des fois à des activités comme Lomé propre… Oui je fais toutes ces choses.
Ocean’s News : C’est toujours un réel plaisir de vous écouter et de voir cette énergie positive que vous dégagez à chaque prise de parole. Quel est votre secret, cette formule magique qui vous rend tout aussi unique que spéciale ?
Médissa Sama : (Rire) Je dirai l’équilibre… Il faut déjà avoir l’équilibre, et les centaines de jeunes que je coordonne, justement, je les aide à progresser là-dessus. Généralement, nous avons tendance à privilégier un plan et à négliger un autre. La majorité des gens privilégient la vie professionnelle à la vie privée, d’autres c’est l’inverse. Mais moi, je conseille de se donner à fond sur les deux plans. C’est un peu comme une balance, il faut essayer d’équilibrer les deux niveaux. L’équilibre vie privée – vie professionnelle est super intéressant et très essentiel.
Chaque être humain qui arrive à garder cet équilibre, à savoir ce qui est important pour lui en termes de vie professionnelle et personnelle, arrive à progresser facilement. Aujourd’hui, je peux dire oui, je suis ce que je suis parce que je n’hésite pas à être moi-même, j’ose être moi, j’ose aller vers les choses qui sont importantes pour moi. La vie privée que j’ai, c’est celle que j’ai désiré avoir ; la vie professionnelle que j’ai, c’est celle que j’ai choisie, je ne la subis pas. C’est ce qui fait que les gens me trouvent des fois assez charismatique, mystérieuse et ne savent pas d’où je tire tout cela.
Ocean’s News : Parlez-nous de ce parcours qui vous a propulsée à ce rang que vous occupez aujourd’hui.
Médissa Sama : Je vais essayer d’être très brève. Si je dis que mon parcours a été difficile, c’est-à-dire que certains ont eu un parcours facile alors je dirai que chaque être humain, une fois né, a des challenges et je fais référence à ma vie personnelle, à mes propres expériences. Donc, je suis parti au départ complètement perdue. Je savais que je voulais faire un certain nombre de choses, je savais que je voulais marquer mon existence, je voulais atteindre le sommet mais de quelle façon ? Je ne savais pas par où commencer ; je n’avais aucune idée. Je venais d’une famille modeste, mes parents n’avaient pas forcément tous les outils pour m’aider, ils n’avaient pas les moyens pour me soutenir même s’ils le désiraient. Donc, il a fallu que je choisisse entre toutes les raisons valables pour lesquelles je pouvais échouer ou alors me battre et prendre mon destin en main.

J’ai dû commencer à chercher tout ce que je peux trouver pour financer mes études et je me suis tapé tous les petits boulots, les boulots les plus imaginables, de vendeuse ambulante à servante dans des restaurants pour avoir de quoi payer mes études et manger. Il m’est arrivé de dormir le ventre vide, d’être tentée d’utiliser mon corps parce que physiquement, j’ai des avantages, et c’était facile pour moi d’accéder aux requêtes des hommes qui m’abordaient. Seulement, la facilité n’étant pas quelque chose qui vraiment m’identifie, j’ai trouvé que ça serait difficile pour moi d’accéder au sommet si je prends ce chemin-là. Je me suis donc concentrée sur le plus difficile, sortir de ma zone de confort et aller à la recherche de cette vie à laquelle j’aspirais. La détermination a été vraiment quelque chose qui m’a aidée ; je n’ai pas perdu de vue mes objectifs. Il m’est arrivé de me sentir faible, de vouloir abandonner, mais il y avait quelque chose qui me disait : « continue, ce n’est pas fini jusqu’à ce que tu gagnes » ! Et cela a été mon leitmotiv jusqu’à ce que je commence par sortir la tête de l’eau. Et à ce moment-là, les choses ont commencé par changer.
J’ai fini par obtenir mon (Bac D) en 2010. Ensuite, il a fallu que je choisisse une filière. À l’époque, je voulais être soit médecin ou ingénieur en ponts et chaussées… Mais par faute de moyens, j’ai participé à un concours de l’école nationale de formation sociale auquel j’ai réussi. Ensuite, j’ai pris la spécialité « Éducation Spécialisée » où on apprend à comprendre le fonctionnement de l’être humain, les vulnérabilités. Cela m’a amenée vraiment vers ce qui me passionnait. Donc comprendre l’humain, comprendre ses motivations, comprendre comment il traîne avec ses handicaps était vraiment stimulant pour moi. On a fait un stage d’immersion où nous nous sommes retrouvés dans des familles pauvres et pendant deux mois, nous avons vécu avec ces familles. Tout cela m’a permis de me découvrir et après ma Licence Professionnelle en Éducation Spécialisée en 2014, j’ai commencé par utiliser ce que je savais pour pouvoir aider… Mon amour pour les enfants en situation de rue a grandi et j’ai poursuivi mes études pour avoir le Master en 2016. Après toutes ces expériences, j’étais finalement prêtre à entrer dans la vie active et très vite, je me suis lancée dans l’entrepreneuriat.
Ocean’s News : Justement ! Pourquoi avez-vous décidé de vous lancer dans ce milieu si pénible qu’est l’entrepreneuriat ? Quel a été le déclic ?
Médissa Sama : L’entrepreneuriat tel qu’on le comprend dès le départ, on pense que c’est le lieu où on se retrouve quand on ne sait pas quoi faire, quand on a cherché du travail et qu’on n’est pas engagé où quand on a envie d’être son propre patron. C’était en quelque sorte mon cas au début. Je n’avais pas tout de suite compris ce que c’est que l’entrepreneuriat et le prix à payer. Personnellement, j’ai toujours dit que je ne travaillerai pas dans l’administration, que je ferai quelque chose de propre à moi. Je ne sais pas toutes les raisons qui m’y ont poussée mais j’ai toujours su que je serai plus productive si moi-même je fais les choses comme je les vois. Donc une fois mon Master en poche, avec toutes les expériences acquises sur le terrain, j’ai tout de suite créé mon entreprise « My Lys Group » et j’étais très contente avec le titre de Directrice Générale… Mais je n’avais encore rien compris de l’univers entrepreneurial car j’ai fait erreur après erreur et un an après, j’ai mis la clé sous la porte parce que ce n’était pas ce à quoi je m’attendais. C’est de là que j’ai compris qu’en fait, entreprendre, c’est entrer en soi, prendre ce qu’on a et l’offrir à ceux qui en ont besoin, c’est ce travail que je n’avais pas fait avant de me lancer. Après avoir fermé mon entreprise, j’ai cherché ma vraie voie et petit à petit, les choses ont commencé par se clarifier. J’ai ensuite commencé par chercher les différentes étapes de préparation avant de se lancer dans l’entrepreneuriat et de créer son entreprise.
Dans ce processus, j’ai découvert des choses extraordinaires, des talents dont je n’avais aucune idée. Dans mon cas, c’était par exemple les choses dont je n’étais pas satisfaite et que je trouvais qu’on pouvait faire mieux. Par exemple, la qualité du service, quelle rigueur fallait-il mettre pour offrir un produit ou un service et c’est par là que j’ai lancé SIACOM (Société Inter africaine Commerciale) qui était justement dans les prestations de services et dans les fournitures de besoin de bureau. C’est comme ça que j’ai commencé…. Et à travers cette entreprise, j’ai découvert que je pouvais apporter encore plus, surtout en termes de formation, de compétences car j’étais sollicitée de partout pour que je parle de mon parcours aux femmes et aux jeunes. J’ai compris à travers cette énième expérience que j’avais une façon de voir qui pouvait aider à progresser… Et petit à petit, le programme YiLiM (Yic Life Métamorphose) a fait surface en 2017.
Ocean’s News : Parlez-nous de Yic Life Métamorphose.
Médissa Sama : Yic Life Métamorphose (YiLiM) comme vous l’entendez aujourd’hui est parti de toutes les expériences qui n’ont pas été faciles pour moi. Yic Life Métamorphose, c’est toute une philosophie derrière, et la vision que je porte, c’est de démocratiser la richesse, comment rendre accessible la prospérité à tous. YiLiM dans ma langue veut dire le lait maternel et le lait maternel est ce que nous nous donnons comme mission d’offrir. Donc, toute personne qui désire avancer dans un aspect de sa vie, lorsqu’elle vient dans notre cadre doit trouver tous les éléments tel un lait maternel qui contient tous les éléments pour permettre à l’enfant de grandir. YiLiM a en son sein cinq pôles dont :
La formation : outiller efficacement les individus et les structures afin de répondre à leurs problèmes personnels et ou professionnels. Renforcer les acquis et favoriser l’innovation ;
Le mentorat : ouvrir le champ des possibilités et amener le mentoré à se poser les bonnes questions, à atteindre ses objectifs professionnels plus rapidement et plus efficacement ;
L’éducation : Le but est d’accompagner les élèves et étudiants sur plusieurs points de leur vie et de leur inculquer dès maintenant les fondamentaux pour une vie personnelle et professionnelle plus réussie ;
Un village d’affaires : Ce pôle offre des opportunités diverses à tout individu désireux de se vendre, de vendre ses produits ou services. La vision de ce pôle est de mettre en place un système simple et efficace de consommation interne au sein du village qui profite à tous. Ici, toute forme de concurrence est éliminée, au profit de l’union de force. Chaque membre, trouvera au sein de ce système une famille de consommateurs, d’acheteurs et d’investisseurs prêts à l’accompagner.
Ocean’s News : Qu’est-ce qui démarque le programme Yic Life Métamorphose des autres programmes qui ont plus ou moins une ligne identique que la vôtre ?
Médissa Sama : Ce qui nous démarque, c’est notre philosophie et notre mode de fonctionnement. Nos membres savent et comprennent très bien que notre approche va au-delà de l’accompagnement. Il y a tout un système pour rendre nos membres suffisamment autonomes et équilibrés.
Ocean’s News : À travers Yic Life Métamorphose, vous formez et exhortez les jeunes à se tourner vers l’entrepreneuriat. Pensez-vous que l’entrepreneuriat est le meilleur moyen pour la jeunesse togolaise de s’en sortir ?
Médissa Sama : L’entrepreneuriat est certes le meilleur moyen pour la jeunesse de s’en sortir mais c’est avant tout un choix de vie et de carrière. Chaque jeune doit trouver sa passion, et la carrière de vie qu’il veut mener. Il ne faut surtout pas se lancer dans l’entrepreneuriat parce que l’on veut être son propre patron ou par suivisme. Entreprendre, c’est apporter une solution à un problème donné. J’exhorte les jeunes à ne pas aller dans l’entrepreneuriat parce qu’ils ont faim, ou encore parce que c’est la chose à la mode. Vues les choses sous cet angle, c’est négliger tout le sérieux que l’entrepreneuriat demande. Entreprendre, c’est payer un prix et il faut évaluer toutes ces étapes, il faut être préparé avant de prendre une décision et se lancer dans l’entrepreneuriat.
Ocean’s News : Par quel moyen se fait le suivi de ces jeunes que vous formez ?
Médissa Sama : Nous mettons à la disposition de chaque jeune un mentor pour son suivi, un mentor de notre base de données que nous attribuons au jeune selon le besoin et la carrière professionnelle qu’il veut suivre.
Ocean’s News : Qui peut bénéficier du programme Yic Life Métamorphose et quelles sont les conditions pour y adhérez ?
Médissa Sama : C’est toute personne qui adhère à la philosophie du « donner et du recevoir ». Toute personne qui accepte de se faire accompagner et qui est prête à apporter le plus qu’il a aux autres. Il faut surtout avoir un objectif à atteindre avant de venir à Yic Life Métamorphose.
Ocean’s News : En 3 ans, quel bilan faites-vous du programme Yic Life Métamorphose ?
Médissa Sama : Le bilan est plus que satisfaisant parce que le programme YiLiM, il faut noter que nous avions pris 18 mois pour mettre les fondations. Nous sommes partis des analyses, des besoins sur le terrain et de ce que nous-mêmes avons à offrir… Et les 18 mois qui ont suivi, nous avions mis nos compétences aux services des jeunes pour obtenir aujourd’hui ce résultat que nous trouvons incroyable. Nous avons aidé plus d’une centaine de jeunes entrepreneurs qui à leur tour accompagnent d’autres jeunes entrepreneurs. Aujourd’hui, nous avons avec nous des jeunes élèves, étudiants, des jeunes entrepreneurs et ces jeunes progressent dans leurs domaines respectifs. Pour nous, c’est une satisfaction. Nous nous sommes fixés comme objectif d’atteindre 5 millions de jeunes entrepreneurs africains d’ici 2025.
Ocean’s News : Entrepreneure et cheffe d’entreprise que vous êtes, quels conseils pourriez-vous partager avec tous ces jeunes qui songent à se lancer dans l’entrepreneuriat mais hésitent encore ?
Médissa Sama : Ils doivent d’abord répondre à la question pourquoi je veux me lancer dans l’entrepreneuriat ? Les raisons sont essentielles et plus les raisons sont solides, plus vous êtes sûrs de réussir. Donc chaque jeune qui veut devenir entrepreneur doit nécessairement répondre au « pourquoi », se définir des objectifs clairs, renoncer à la vie de plaisir et de loisir et être prêt à payer le prix.
Ocean’s News : Merci de nous avoir reçus. On vous laisse conclure ?
Médissa Sama : Aujourd’hui l’ambition de YiLiM est de réussir à fédérer les forces des filles et fils du continent afin qu’on puisse être des jeunes leaders, que l’on s’impose et que derrière, nous soyons des multinationales à l’instar des grandes multinationales, que l’on puisse s’asseoir à la table de négociations des grandes puissances. Je voudrais dire aux jeunes que nous sommes nés pour marquer notre existence, donc il faut que chaque jeune commence par se poser la question de quelle façon la plus modeste je peux marquer mon existence.
Extrait de la 13e parution du magazine Ocean’s News – Propos recueillis par Aimé APEDOH