Designer franco-sénégalais, Bibi Seck a bâti sa carrière entre Paris, New York et Dakar, avec une traversée des frontières du design industriel et de l’artisanat local. Co-fondateur du studio Birsel + Seck, il est reconnu pour son approche centrée sur l’usager, son engagement pour un design africain contemporain et sa capacité à collaborer avec des artisans comme avec des multinationales. Portrait.
Un simple trait couché à l’encre sur un carnet, dans un avion ou sur un coin de table. C’est là que naissent les idées de Bibi Seck, designer aux mille vies, qui a fait du dessin non pas une fin, mais un langage. Celui par lequel il pense, rêve et rend plus beau le monde qui l’entoure.
À 7 ans, Bibi Seck rejoint Dakar avec ses parents. Trilingue, curieux et rêveur, il remplit déjà des cahiers entiers d’histoires visuelles et de maquettes bricolées. Plus tard, ses mains traceront les courbes intérieures de la Renault Scenic, et plus récemment, celles du canapé Madame Dakar, icône de la collection M’Africa qui marie design et artisanat sénégalais.
Né d’un père sénégalais et d’une mère martiniquaise, Bibi Seck, de son vrai nom Ibrahima André, grandit entre Bruxelles, Londres et Dakar. Il découvre très tôt que le dessin est un refuge universel. Une manière pour lui de créer des mondes portables, faits d’habitacles, de cases futuristes ou de fauteuils-lianes, toujours empreints d’une vision joyeuse, fluide et intuitive du quotidien.
Après une tentative avortée d’études en ingénierie, il s’oriente vers le design industriel à CREAPOLE-ESDI à Paris. Un virage décisif. Il y découvre un champ de création sans frontières, où l’on peut dessiner une voiture comme un briquet ou une table. Le design devient alors un prolongement de l’enfance, un jeu sérieux au service du confort humain.
Fraîchement diplômé, il intègre Renault en 1990. Il y passera 14 années à dessiner des intérieurs de véhicules, du Trafic à la Scenic et devient le premier Africain à œuvrer dans ce département. Il y apprend la rigueur industrielle, les normes, la mécanique des fluides, mais aussi l’écoute ; celle de l’ingénieur, de l’usager, de l’espace.
« Concevoir une voiture, c’est créer une maison sur roues », dit-il. Bibi Seck retient de cette période l’idée d’habitacle, ce cocon fonctionnel, mobile, où la forme épouse les usages. Une notion qu’il déclinera plus tard dans ses open spaces modulables pour Herman Miller ou dans ses structures légères et colorées exposées au 19M à Paris.
Bibi Seck : une esthétique entre rigueur et malice

Dans ses croquis, sur Instagram ou sur ses carnets, Bibi Seck alterne les styles : BD à la Juan Gimenez, alphabets inventés, meubles hybrides, esquisses d’avions, etc. Tout est prétexte à jouer avec la courbe, à chercher l’équilibre entre ordre rationnel et folie douce. Son trait, généreux et vivant, séduit aussi bien les industriels que les artisans de rue. Il conçoit le design comme une solution aux problèmes des autres, un art appliqué tourné vers l’humain. « Ce qui m’inspire, ce sont les gens », répète-t-il souvent.
En 2004, après être devenu père, il quitte Renault et s’installe à New York, où il cofonde avec la designer turque Ayse Birsel le studio Birsel + Seck. Le duo fabrique des produits pour Toyota, Ikea, HP, Hasbro, GE, Staples, mais aussi pour des ONG, des collectivités et des entreprises africaines. Leur force se cache dans un design intuitif, inclusif, enraciné dans les usages, mais ouvert à l’inattendu. À travers leurs projets, ils explorent un design à impact, soucieux d’écologie, d’économie circulaire et de lien social.
Depuis 2006, Bibi Seck multiplie les allers-retours entre Dakar et New York. À Dakar, il réinvestit les rues et les ateliers, développe des projets avec des artisans, s’inspire des couleurs, des matières locales, des gestes ancestraux. Il collabore avec Waste & Hope, recycle des plastiques, tisse des fils de polyéthylène avec les femmes de Pikine.
Le canapé Madame Dakar, qu’il crée avec Ayse, est devenu une pièce culte. Sélectionné par le New York Times parmi les 25 meubles les plus marquants du siècle, il symbolise parfaitement l’essence de son travail qui associe artisanat africain et design global pour faire dialoguer tradition et innovation.
Avec ses carnets toujours en poche et son sourire de gamin malicieux, Bibi Seck trace encore des lignes, des ponts, des rêves habités. Du design, mais sans frontières. Un art de vivre le monde et de le partager.

