Emmanuel Wafo. Du négoce à la production locale, le parcours du PDG de Mit Chimie traduit l’ambition d’une nouvelle vague d’entrepreneurs africains bien décidés à inscrire leur empreinte dans l’histoire de l’industrie plastique sur le continent. Portrait.
Dans les années 1990, à Douala, un jeune Camerounais fraîchement rentré de France regarde l’avenir avec ambition. Diplômé d’une école de commerce, Emmanuel Wafo revient au pays avec le rêve d’une carrière dans la finance. Mais le Cameroun de l’époque, confronté à une grave crise économique, offre peu de perspectives aux jeunes cadres.
Le destin l’emmène alors sur un tout autre chemin, celui de l’entrepreneuriat, d’abord dans l’ombre de son père, puis seul, à la tête d’un empire qu’il allait bâtir à force de résilience, d’audace et d’anticipation. Né en 1968 à Douala, Emmanuel Wafo n’a jamais manqué de repères. Fils d’un entrepreneur local dans l’emballage plastique, il baigne très tôt dans l’univers de l’entreprise.
À son retour de France au début des années 1990, il rejoint naturellement l’affaire familiale. Mais son regard neuf et formé aux outils modernes de gestion entre en friction avec la gestion traditionnelle paternelle. Le besoin d’autonomie s’impose. En 1998, sans capital de départ ni véritable étude de marché, Emmanuel Wafo fonde Mit Chimie, petite structure spécialisée dans le négoce de produits chimiques pour l’industrie locale.

Sur un marché dominé par des géants comme ADER (devenu plus tard SOLEVO Cameroun), le jeune entrepreneur camerounais à l’époque fait le pari des niches ; des segments de marché souvent ignorés par les grandes multinationales. Il tisse des partenariats avec des fournisseurs étrangers en quête de débouchés en Afrique, et gagne rapidement la confiance des industriels locaux. Mit Chimie devient un acteur fiable, discret, mais qui croît dans l’approvisionnement de produits pour l’agroalimentaire, les boissons, les cosmétiques.
Pendant plus d’une décennie, Mit Chimie développe son activité en toute stabilité. Pas de levées de fonds spectaculaires, pas d’explosion soudaine de chiffre d’affaires. Juste une croissance régulière, presque silencieuse. Jusqu’à ce qu’en 2009, un revers important manque de tout faire basculer. Vingt containers de soude caustique, livrés à un client, s’avèrent être remplis de sable et de sel. L’entreprise enregistre une perte colossale estimée à près de 300 millions de FCFA. L’empire d’Emmanuel Wafo, mais il résiste. Il assume l’échec, paie la facture et garde intacte la confiance de ses clients. L’épisode, douloureux, devient un tournant.
Emmanuel Wafo : De négociant à producteur, la bascule industrielle
Après cet épisode douloureux, l’histoire de Mit Chimie change de dimension au début des années 2010. Emmanuel Wafo décide de franchir le pas de l’industrialisation, un choix encore rare à l’époque. Il se lance dans la fabrication locale de préformes en PET, ces éléments qui servent à produire des bouteilles, flacons ou bidons plastiques. Un pari audacieux sur un marché presque entièrement dépendant des importations.
Avec cette décision, Emmanuel Wafo devient un pionnier de l’industrie plastique au Cameroun. La transformation de Mit Chimie est papable. L’entreprise investit dans des machines, dans des hommes, dans une vision. Son positionnement local et sous-régional lui permet de s’imposer comme un leader discret, mais assez stratégique de l’industrie de l’emballage plastique en Afrique centrale.
La reconnaissance ne tarde pas à suivre. L’entrepreneur camerounais prend la tête de l’Association camerounaise des professionnels de la plasturgie (AC2P), et devient également président de la Commission économique et développement des entreprises au GICAM, l’organisation patronale la plus influente du pays. Il y défend les intérêts de l’industrie locale, s’oppose notamment à la fusion du GICAM avec ECAM, pour maintenir un patronat fort, structuré et visionnaire.

En 2024, Mit Chimie fait une entrée fracassante dans le débat économique national. L’entreprise annonce une augmentation de capital à hauteur de 1 milliard de FCFA et le lancement d’une nouvelle usine industrielle à Douala, pour un investissement de 7 milliards de FCFA. Le projet, étalé en deux phases, vise à répondre aux besoins de toute l’Afrique centrale en solutions d’emballage. La première phase est déjà opérationnelle ; la seconde, prévue pour fin 2025, permettra d’élargir considérablement la gamme de produits.
Avec près de 300 employés et un chiffre d’affaires qui dépasse désormais les 10 milliards de FCFA, Mit Chimie est l’exemple parfait de ce que peut devenir une PME quand elle croit en sa capacité à produire localement et à conquérir les marchés régionaux.
À la fois discret et rigoureux, le PDG de Mit Chimie n’est pas du genre à se contenter des acquis. Son Executive MBA en poche, il continue de réfléchir à la montée en gamme de son entreprise, à la formation de ses collaborateurs, et à la consolidation d’un écosystème industriel durable.
Son histoire est celle d’un homme, mais aussi celle d’un continent en quête de souveraineté économique. Et si le plastique reste son domaine de prédilection, l’impact d’Emmanuel Wafo dépasse largement les frontières de l’industrie plastique au Cameroun.