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Entretien avec Ruurd Brouwer, CEO de TCX Investment Management Company

Ruurd Brouwer Ruurd Brouwer
Ruurd Brouwer

En cette fin d’année marquée par la terrible pandémie du COVID-19, les Fonds d’investissements déploient leur énergie. À l’instar de la Commission Européenne, de l’IDA, de la SFI et Proparco qui ont décidé d’injecter près de 200 millions de dollars dans le TCX Fund dont la mission consiste à aider les entreprises et les ménages en Afrique à faire face aux conséquences économiques de la pandémie. Entretien avec Ruurd Brouwer, CEO de TCX Investment Management Company.

Ocean’s News : Comment le Fonds TCX soutient-il les projets sur le continent ?

Ruurd Brouwer : TCX soutient des projets en Afrique en supprimant le risque de change qui accompagne les investissements en devises fortes dans ces projets. De nombreux investisseurs, même dans le domaine du financement du développement, font peser le risque de change sur l’emprunteur africain en prêtant en devises fortes et en exigeant d’être remboursé en devises fortes. Ces emprunteurs peuvent être des ménages, des entreprises ou des gouvernements. Comme la plupart des emprunteurs ont leurs revenus en monnaie locale, ils sont confrontés au risque de change. Une dépréciation de la monnaie locale entraîne une augmentation de leurs dettes exprimées dans leur propre monnaie. Comme ces dépréciations sont imprévisibles et souvent importantes, elles peuvent détruire l’économie d’un projet, voire provoquer des défauts de paiement. Un exemple particulièrement regrettable est la crise actuelle de la soutenabilité de la dette, engendrée par la crise du COVID-19.


Les banques peuvent couvrir ce risque pour l’euro/dollar ou le yen/livre sterling, mais personne ne le couvre pour le Leones, le Cedi, le Kwacha ou le Shilling. TCX a pour seul objectif de proposer des solutions au risque de change pour les marchés frontaliers, y compris pour les pays en voie de développement.

Ocean’s News : Quelles sont vos perspectives pour 2021 ?

Ruurd Brouwer : Nous ne faisons pas de prévisions à TCX. Le premier économiste à prédire correctement la croissance économique, ou les crises financières, n’est pas encore né. Notre philosophie est donc qu’en ce qui concerne le risque de change, aucun emprunteur ne devrait rester passif en espérant que « tout ira bien » à ce que « tout ira probablement bien ». Sur le plan économique, c’est un pari dangereux, surtout dans un environnement où la volatilité est la seule constante. Ainsi, chez TCX, notre conseil pour 2021 et au-delà est de planifier au mieux mais de se préparer au pire.

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Ocean’s News : Comment la crise du COVID-19 a-t-elle influencé vos activités ?

Ruurd Brouwer : De trois manières différentes, elle a causé des pertes très importantes, elle a réaffirmé notre objectif et notre modèle économique, et elle a présenté des opportunités. Permettez-moi de vous préciser ma pensée :


Premièrement, en mars 2020, lorsque la COVID-19 a frappé les marchés émergents, TCX a subi la plus grande perte de son histoire. Mais chaque dollar perdu par le fonds était un dollar non perdu par les ménages et les entreprises étaient couvertes contre le risque de change (tout en recevant du dollar). Ainsi, notre perte a été le gain de l’Afrique. Et c’est notre vocation de prendre des coups en temps de crise pour que les ménages, les entreprises et les institutions africaines n’aient pas à en prendre.

Deuxièmement, nous avons pu neutraliser ces pertes grâce à la stabilisation des marchés. La nécessité de TCX ainsi que son modèle ont donc été réaffirmés. Troisièmement, en raison de la crise, plusieurs parties ont vu l’importance d’une solution au risque de change comme celle fourni par TCX et ont décidé d’investir des sommes importantes dans notre capital.

Ocean’s News : De quelle manière s’est traduite concrètement leur engagement ?

Ruurd Brouwer : La Commission européenne a investi 130 millions d’euros à la mi-novembre pour développer notre activité en Afrique. La SFI et le volet secteur privé de l’AID (Association Internationale de Développement) et Proparco ont investi 50 millions de dollars. Ces entités sont de bons exemples. Grâce à ces investissements, nous prévoyons d’augmenter de manière significative notre capacité d’absorber le risque de change en Afrique.

Ocean’s News : Vous êtes actifs sur des projets au Ghana, au Rwanda et en Ouganda. Quel impact avez-vous eu sur ces différents projets ?

Ruurd Brouwer : Nous couvrons plus d’une centaine de devises, avec une exposition active dans 60 devises. Par conséquent, nous sommes actifs dans presque toutes les monnaies africaines. Dans les 3 pays que vous avez mentionnés, nous avons un engagement fort avec des partenaires stratégiques. Et nous développons un écosystème qui – nous l’espérons – fournira des solutions de couverture et contribuera au développement des marchés des capitaux locaux.

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Ocean’s News : Comment parvenez-vous à mettre en œuvre votre vision sur les marchés émergents ?

Ruurd Brouwer : Notre vision est que les entrepreneurs des marchés émergents devraient être en mesure de se concentrer sur la croissance de leur entreprise et ne pas être distraits par le risque de change. Peu de gens réalisent que le risque de change est omniprésent dans beaucoup de pays africains. Non seulement par des emprunts directs en devises fortes, mais aussi par leur facture d’électricité, car les producteurs d’électricité africains sont trop souvent financés en dollars et ont leurs accords de rachat en dollars. Le risque va à la compagnie d’électricité, qui le transfère au consommateur par le biais du tarif de l’énergie. Il en va de même pour les projets d’infrastructure dont les emprunts sont en devises fortes.


Nous mettons en œuvre notre mission en proposant des solutions pour toutes les devises frontières, toutes les tailles et toutes les maturités. Nous pouvons y parvenir grâce à nos actionnaires et à nos investisseurs qui acceptent un risque élevé et un faible rendement en échange d’une solution globale pour la monnaie locale et une croissance économique pérenne dans la région.

Ocean’s News : Comment pouvez-vous décrire simplement TCX Fund tant les actions semblent assez diverses ?

Ruurd Brouwer : C’est un défi compte tenu de notre produit et de notre modèle de risque. Les produits dérivés qui ‘font du bien’ est une description qui me plaît, car nous utilisons des swaps et des contrats à terme conformément à leur objectif initial : soutenir les investissements dans le secteur réel. Une autre bonne description est « la solution coopérative au risque de change » ; toutes les principales institutions financières de développement du monde et plusieurs gouvernements ont uni leurs forces dans le TCX pour s’attaquer ensemble au risque de change.

Ocean’s News : Comment pouvez-vous décrire le Fonds TCX en quelques mots ?

Ruurd Brouwer : C’est un défi compte tenu de notre modèle de produit et de risque. Depuis notre création en 2007, nous avons fourni des instruments de couverture pour un volume total de 8,5 milliards de dollars répartis sur 3500 transactions. Aujourd’hui, notre fonds a une exposition totale de 5 milliards de dollars. Après concernant notre utilité, je dirai que nous apportons des produits dérivés qui « sont bénéfiques ». C’est une description qui me plaît, car nous utilisons des swaps et des contrats à terme conformément à leur objectif initial : soutenir les investissements dans le secteur économique réel. Une autre bonne description est « la solution collaborative au risque de change » ; toutes les grandes institutions financières de développement du monde et plusieurs gouvernements ont uni leurs forces pour soutenir TCX avec comme mandat de couvrir le risque de change.

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Ocean’s News : Il existe de nombreux fonds d’investissement qui investissent sur le continent. Comment lisez-vous l’évolution de votre écosystème ?

Ruurd Brouwer : Si je regarde du point de vue de TCX, je vois les fonds de micro finance en tête. REGMIFA, un fonds qui prête aux institutions de microfinances africaines, a été dès le départ un prêteur à 100% en monnaie locale. Nous étions particulièrement fiers de pouvoir les servir en offrant une solution pour la Sierra Leone. Économiquement et moralement, il serait erroné de transférer le risque de change aux institutions de microfinance, car elles servent la partie de la population qui peut le moins assumer le risque de change. Nous, les fonds de capital-investissement, avons tendance à conserver le risque de change dans le fonds ou à le décharger sur leurs bénéficiaires par des solutions hybrides avec une composante en devises fortes ou un capital subordonné en USD. Dans les fonds axés sur l’infrastructure, les solutions en monnaie locale suscitent un intérêt croissant pour les solutions en monnaie locale. Et nous avons réalisé une série de couvertures dans le secteur de l’énergie et du logement.

Ocean’s News : Quel niveau souhaitez-vous atteindre dans les dix prochaines années ?

Ruurd Brouwer : Premièrement, créer un consensus parmi les prêteurs sur le fait que le risque de change ne doit pas être transféré aux emprunteurs africains. Deuxièmement, traduire ce consensus en action parmi les prêteurs en changeant des méthodes inadéquates et en mettant en œuvre des solutions durables innovantes. Enfin, nous souhaitons créer et développer un marché mondial pour le risque de change africain. TCX a montré qu’il existe des solutions. C’est à présent aux emprunteurs et aux prêteurs à qu’il revient de les mettre en œuvre.

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