Depuis plus de trente ans, Jean-Marie Ackah développe un groupe agro-industriel que peu de gens connaissent vraiment, mais dont les produits se retrouvent chaque jour sur les tables ivoiriennes. Derrière les ailes, cuisses et gésiers estampillés Coqivoire, il y a une stratégie, une méthode et une vision. Portrait d’un capitaine d’industrie au regard tourné vers l’avenir.
Dans les rues d’Abidjan, le poulet braisé fait partie du quotidien. On le partage entre amis dans les maquis, on le commande en livraison ou on l’achète au supermarché. Ce succès populaire repose en grande partie sur le travail de Jean-Marie Ackah, président du groupe Avos, propriétaire de SIPRA (Société ivoirienne de production animale) et de la marque Coqivoire.
Dans l’univers économique ivoirien, peu de figures incarnent aussi discrètement qu’efficacement l’ambition industrielle du pays comme Jean-Marie Ackah. Depuis les fermes du centre du pays jusqu’aux rayons réfrigérés des grandes surfaces, son entreprise a organisé l’une des chaînes de production les plus complètes de l’industrie avicole ivoirienne. Son pari : structurer une industrie avicole ivoirienne intégrée, compétitive et durable.
Ses premiers pas, Jean-Marie Ackah les fait dans une entreprise parapublique, Palmindustrie. Il y découvre les réalités du terrain, la rigueur d’une grande organisation et l’importance des filières agricoles dans l’économie du pays. Dans les années 1980, il se tourne vers le privé et intègre la jeune SIPRA, alors filiale d’un groupe français. Au départ, il occupe plusieurs fonctions à la fois. Il touche à tout, observe et apprend vite.
En dix ans, Jean-Marie Ackah devient le visage de la société. Puis rachète les parts de l’actionnaire majoritaire. La transaction se fait en bonne entente. Ce sera l’un des tout premiers « management buyout » (MBO) réalisés en Côte d’Ivoire. L’aventure industrielle peut commencer.
SIPRA : Produire localement, transformer sur place, vendre ici
À la tête de l’entreprise, la SIPRA devient le pilier d’un écosystème agro-industriel. Aux fermes de production s’ajoutent les abattoirs, les unités de transformation, les filiales de nutrition animale (SABB, LMCI), et plus récemment la restauration rapide avec SARES, en partenariat avec Total.
Le modèle mis en place repose sur la logique de tout faire localement. Des poussins à l’abattage, de l’alimentation animale à la distribution. L’entreprise se déploie avec méthode. La SABB et la LMCI assurent la production de maïs et d’aliments pour bétail. L’abattoir situé entre Abobo et Anyama fonctionne à plein régime, avec 2 500 volailles traitées chaque heure.
Et la distribution s’appuie sur des marques bien implantées, comme Coqivoire ou encore SARES, pour la restauration rapide. Au total, plus de 1 200 emplois directs et des dizaines de milliers d’emplois indirects gravitent autour de cet écosystème. Avec un chiffre d’affaires qui dépasse les 100 millions d’euros, SIPRA reste le moteur du groupe.

Mais Jean-Marie Ackah voit plus loin. Pour réduire les importations, il a lancé la production de maïs sur 5 000 hectares et projette de tripler cette surface. Il envisage aussi de produire du soja localement. Ce sont des matières premières essentielles pour nourrir les volailles.
Jean-Marie Ackah : le temps de la transition
Johanne Ackah suit depuis plusieurs années les pas de son père au sein du groupe, en tant que secrétaire générale. Discrètement, le passage de relais se dessine, étape après étape, sans urgence ni mise en scène. Jean-Marie Ackah parle peu, mais ses intentions sont de transmettre, en préservant les fondements familiaux de l’entreprise. « Dans une succession, tout est possible », a-t-il laissé entendre au cours d’une interview accordée à Forbes Afrique en février 2025.
Le groupe investira près de 45 milliards de francs CFA d’ici 2030 pour étendre ses couvoirs, développer de nouvelles fermes et renforcer la production locale. Le marché ivoirien reste une priorité, mais l’horizon régional prend forme. Après le Burkina Faso, d’autres pays d’Afrique de l’Ouest pourraient accueillir des projets.
Jean-Marie Ackah préfère raconter des anecdotes sur ses entreprises, évoquer ses doutes, ses choix, ses rencontres. Lorsqu’il évoque les jeunes, il parle d’exigence, de discipline, mais aussi de confiance. Il n’emploie pas de grands mots. Il préfère les faits.
L’ancien président de la CGECI (Confédération générale des entreprises de Côte d’Ivoire, le Medef local) connaît bien les rouages du monde des affaires. Il en garde une posture posée, mais ferme. Il rappelle souvent que l’industrie n’est pas un sprint, mais un long parcours. Il faut savoir attendre, réinvestir, corriger, repartir. Il faut aussi savoir transmettre.