Le 30 avril 2020 a été une autre date marquante pour la musique africaine : le batteur Tony Allen s’est éteint. Le nigérian de 79 ans a succombé suite à un malaise à Paris.
Tony Allen a été l’un des pionniers de l’afrobeat. Sans lui, ce mouvement musical n’existerait peut-être pas. Le virtuose des baguettes a tiré sa révérence le 30 avril 2020. En 79 ans de vie, quelle a été l’histoire de ce prodige des percussions ? Nous vous le dépeignons dans ce portrait.
Des débuts dans la cour des grands
Le batteur Tony Allen est né le 20 juillet 1940 à Lagos, le poumon économique du Nigeria, où il grandit. À ses 17 ans, il commence à travailler comme technicien dans une radio de Lagos. Batteur autodidacte abreuvé au jazz de Dizzy Gillespie et au be bop de Art Blakey, Tony Allen joue dans les clubs de jazz de Lagos les soirs. En journée, il continue son travail à la radio. C’est d’ailleurs là-bas qu’il fait, en 1963, la rencontre qui va changer le cours de sa vie : celle avec Fela Ransome Kuti. Ce dernier venait de rentrer de son séjour londonien et y animait une émission de jazz hebdomadaire.
Fela fait passer une audition au jeune batteur Tony Allen en vue d’enrichir la section rythmique de ses Koola Lobitos. Pragmatique et visionnaire, Fela Kuti sait dès qu’il l’écoute qu’il a trouvé la perle rare. Il dira à son sujet que Tony Allen était capable de « jouer comme trois ou quatre batteurs réunis », ce qui lui a permis d’économiser sur un autre percussionniste. De là commence une collaboration qui impactera la musique en général et la musique africaine en particulier. De 1968 à 1979, il est d’ailleurs le batteur et directeur artistique de Fela Kuti. Ce dernier confiera plus tard que sans Tony, il n’y aurait pas d’afrobeat. Le musicien britannique, Brian Eno, le décrit comme « peut-être le plus grand batteur qui ait jamais vécu ».
Sur les routes de l’Afrobeat
En plein milieu des années 1960, le batteur Tony Allen et son maître et ami Fela Kuti font une tournée aux États-Unis. Le pays est en cette période gravement secoué par le mouvement de revendications des Afro-américains. Élèves de Martin Luther King, Malcom X et du Black Panther Party, les jeunes musiciens y font leur formation politique, en grande partie grâce à leurs « sœurs ».
La prise de conscience de Tony Allen et de Fela Kuti donnera ainsi vie à l’un des courants musicaux fondamentaux de l’Afrique du XXe siècle : l’afrobeat. Un groove et des textes engagés, un mélange entre rythmes traditionnels et puissance électrique, une recette infaillible dont le soubassement est le Nigeria.
Un divorce trop vite consommé
Le batteur Tony Allen et le Black President [NDLR : surnom de Fela Kuti], deviennent inséparables. Fela Kuti se radicalise politiquement. Il devient très vite le champion du panafricanisme, le pourfendeur de la corruption et de l’exploitation du continent noir par les multinationales. Les deux hommes partagent tout : le harcèlement de l’armée, les descentes policières, l’incendie de la fameuse Kalakuta Republic… Mais Tony Allen est toutefois moins politisé et surtout, moins radical.
Après près de dix ans de collaboration qui restera gravé dans les cœurs comme l’âge d’or de l’afrobeat, le batteur commence à voir les limites de ce voyage mouvementé en duo. Refroidit par les provocations de Fela, exténué par ses excès (alcool, drogues et femmes), qui selon lui, portent préjudice à sa créativité, Tony rêve de voler de ses propres ailes.
Après trois albums en leader (Jealousy, Progress, No Accommodation for Lagos), enregistrés avec les musiciens de Africa 70 et produits par Fela, il prend définitivement la tangente en fondant les Afro-Messengers.
Le musicien choisit finalement de partir vers des champs musicaux plus expérimentaux. Il se retrouve ainsi sur le label Comet Record, fondé par deux jeunes Français proches de l’électro. On verra à ses côtés des musiciens comme Doctor L3, les frères Stéphane et Lionel Belmondo ou encore Ali Boulo Santon.
Une discographie aussi dense que riche
Tony Allen enregistre pléthore de collaborations avec de grands noms de la musique tels que Jean-Louis-Aubert, Ray Lema, Manu Dibango, Damon Albarn, Sébastien Tellier, Oumou Sangaré, Jeff Mills, Charlotte Gainsbourg pour ne citer que ceux-là. Avec Fela Kuti, ils enregistrent près d’une quarantaine d’album en 10 ans de cheminement ensemble. Les plus populaires de ces albums sont Expensive Shit, sorti en 1975 et Zombie sorti l’année suivante.
De 1997 à 2020, il collabore sur une trentaine de projets dont le tout dernier en date est Rejoice, avec le trompettiste sud-africain Hugh Masekela. Enregistré depuis 2010, le projet est à moitié posthume puisque Hugh Masekela est décédé en 2018. Vivant en France à Courbevoie, Tony Allen meurt le 30 avril 2020, à 79 ans, dans un hôpital parisien.
Outre son impressionnante discographie et ses multiples collaborations, le batteur Tony Allen laisse derrière lui un héritage beaucoup plus important : l’afrobeat. Bien qu’ayant une soixantaine d’années à son compteur, l’afrobeat ne s’est jamais aussi mieux porté. Cela est possible notamment grâce à l’adoption de ce style de musique par la grande majorité des artistes nigérians et africains d’autres nationalités.
Avec les talentueux artistes nigérians de la nouvelle génération tels que Wizkid, Burna Boy, Davido et bien d’autres, l’héritage de Tony Allen a encore de beaux jours devant lui.