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Interview : Didier Acouetey, chasseur de talents africains

Didier Acouetey Didier Acouetey

Entrepreneur et homme d’affaires dévoué pour l’avenir de l’Afrique, Didier Acouetey travaille depuis près de trois décennies pour léguer à la prochaine génération une Afrique prospère et autonome. Il est le Fondateur et Président d’AfricSearch, un groupe spécialisé dans la détection de talents et la gestion des ressources humaines en Afrique. Le groupe a des bureaux répartis aux quatre coins du globe et est reconnu comme l’un des principaux cabinets internationaux œuvrant au développement des ressources humaines en Afrique. 

Avec le Groupe AfricSearch, Didier Acouetey s’est bâti une solide réputation de dévouement envers son métier, orientant ses clients vers des niveaux de performance optimaux. En 2014, il lance la première édition de l’Africa SME Champions Forum, un événement dédié à l’accompagnement de la croissance des PME africaines dont l’objectif principal est d’améliorer l’environnement des PME et de les soutenir dans leur croissance.

De passage dans la capitale togolaise pour la 8e édition de ce forum tenu les 5 et 6 octobre 2023, ce “chasseur de têtes” a généreusement accepté de nous rencontrer dans les bureaux du Groupe AfricSearch Lomé pour un entretien exclusif. Il revient dans cette interview sur son parcours inspirant, mais également sur les contours de l’organisation de cette édition du Forum sur la terre qui l’a vu naitre. Interview !

Didier Acouetey, pour cette première dans les pages du magazine Ocean’s News, présentez-vous à nos lecteurs et à tous ceux qui auront l’opportunité de vous découvrir pour la première fois. Comment préférez-vous être défini ?

Didier Acouetey : Je suis Didier Acouetey, je préside le Groupe AfricSearch qui est un cabinet spécialisé dans la détection de talents et la gestion des ressources humaines pour l’Afrique. Je suis un entrepreneur parce que j’ai commencé finalement assez tôt l’entrepreneuriat. Je suis un afro optimiste engagé et passionné par les questions de développement et les questions humaines. Je me préoccupe du sort de la jeunesse en général, et donc je dédie beaucoup de temps aux jeunes et aux entrepreneurs parce que je crois fondamentalement que c’est une manière de donner espoir aux jeunes pour qu’ils se réalisent.

Il y a un peu plus de vingt-sept ans, vous décidez d’embrasser l’univers entrepreneurial avec la création du Groupe AfricSearch. Partagez avec nous vos expériences professionnelles antérieures et comment elles ont contribué à votre vision entrepreneuriale.

Didier Acouetey : Mon parcours est relativement simple, après mon Baccalauréat à Paris, j’ai intégré d’abord une université pour faire des sciences économiques. Je me suis rendu compte que c’était assez théorique et j’ai basculé rapidement vers une école de commerce parce que j’avais soif d’apprendre des choses très pratiques opérationnelles et liées à l’entreprise. La macroéconomie est extrêmement intéressante, ça donne une grande perspective, mais j’étais davantage intéressé par la déclinaison opérationnelle des stratégies, du marketing, de la gestion, donc j’ai basculé rapidement vers une école de commerce toujours à Paris et ensuite, j’ai complété par des troisièmes cycles en marketing industriel, en commerce international puis, j’ai fait un MBA à l’École Supérieure de Commerce de Paris. Et comme le monde change constamment, j’ai continué par une série de formations complémentaires dont une des dernières à Harvard Business School, à Boston, parce que j’étais intéressé d’avoir une perspective managériale différente en rencontrant d’autres dirigeants d’entreprises qui viennent partager leurs expériences dans ces universités. J’ai commencé

J’ai commencé ma carrière dans une société américaine qui faisait du pré-test publicitaire donc du marketing et nous testions les messages des gros annonceurs comme Coca-Cola, Mercedes, Nestlé… sur différents supports. On faisait des études marketing pour voir si les communications correspondaient aux stratégies de ces entreprises et à leur public cible. On faisait par la suite des recommandations pour que ces entreprises ajustent leurs stratégies de communication et leurs approches du marché. Après, je me suis orienté dans l’industrie de la communication événementielle, dans un groupe de communication qui s’appelait CEP où nous avions plus d’une cinquantaine de grands salons professionnels en France avec un volet-conseil aux entreprises qui avaient une stratégie marketing de pénétration de marchés. Ensuite, j’ai fait un peu de conseil aux entreprises en développement et pour finir, j’ai créé avec un ami une entreprise dans les emballages industriels et de la communication.

Didier Acouetey
Didier Acouetey, Président du Groupe AfricSearch

En 1996, j’ai finalement décidé de créer mon entreprise AfricSearch avec des amis. Dans l’intervalle, j’ai entrepris beaucoup de choses aux États unis, en Afrique, en Europe dont certains ont marché et d’autres échoué, mais globalement, j’ai plutôt une fibre d’entrepreneur. Avec AfricSearch, je me suis beaucoup plus concentré sur les questions de ressources humaines et de recrutement, et en parallèle, j’ai des activités dans le secteur financier où je prends des participations parfois dans des petites entreprises. On a aussi une société de prise de participation dans le secteur bancaire avec des amis, donc en résumé, j’ai un profil d’entrepreneur, avec des expertises marketing, communication, stratégie et en financement de projets.

Quelles sont alors les circonstances qui ont conduit à la création du Groupe AfricSearch ? Quelles ont été les principales motivations derrière sa création ?

Didier Acouetey : Nous avions eu très tôt pendant nos études en France la conscience qu’il fallait un renouveau pour le continent africain avec une profonde fibre africaine. Nous étions tous obsédés par le développement du continent africain et les moyens d’y arriver parce qu’on regardait des exemples Européens et Asiatiques et on connaissait tous leur narratif. On avait étudié un peu leur modèle de développement et on était tous frustrés de voir que l’Afrique prenait du retard dans son processus de transformations. Nous avions créé à l’époque une association qui s’appelait « Renaissance Africaine » dont la mission était de définir de nouveaux paradigmes pour le développement de l’Afrique. Ça se traduisait par des recherches, des conférences, un magazine et un réseau de jeunes africains en France et dans toute l’Europe. Nous nous mobilisions pour des actions de développement sur l’Afrique comme l’appui aux entrepreneurs, des actions sociales, l’envoi de médicaments quand il y avait des crises et plus globalement des propositions sur le plan économique et politique, en termes de réformes de nos institutions, mais également sur le plan socio-culturel. Les différents échanges que nous faisions avec les grands acteurs du monde faisaient l’objet de publications.

De cette vie associative cumulée à mes expériences professionnelles, il y avait toujours une question centrale qui revenait : « comment développer l’Afrique s’il n’y a pas les bonnes personnes pour le faire » ? Nous-mêmes diplômés et jeunes cadres avions compris que l’Afrique avait besoin de ses diplômés, de ses compétences pour accélérer son développement… C’est ainsi que l’idée est née de créer un cabinet spécialisé pour mettre à la disposition des entreprises et des Etats, les compétences africaines. Le cabinet a été créé pour répondre à la question du capital humain du continent africain, en identifiant les compétences de par le monde pour les encourager à rentrer ou en étant sur place à prendre des positions qui correspondent à leur profil, parce qu’il y avait toujours cette problématique de la bonne personne au bon endroit. Si vous avez quelqu’un de compétent et que vous le mettez dans la mauvaise position, il aura du mal à performer. Il faut donc trouver la bonne personne pour la mettre au bon endroit pour qu’elle puisse faire son travail comme vous l’espérez. C’est ce qui a donné naissance au cabinet AfricSearch en 1996.

Pouvez-vous nous expliquer comment AfricSearch aborde la détection des talents en Afrique et quelles méthodologies ou approches spécifiques, vous mettez en œuvre pour identifier les meilleurs candidats ?

Didier Acouetey : Nous travaillons sur la question humaine, donc c’est une question qui est toujours complexe et difficile, car l’être humain est très complexe et on ne connait jamais entièrement une personne. Dans notre métier, pour appréhender le potentiel d’un cadre, d’un diplômé ou d’un dirigeant, nous nous y prenons avec des outils d’analyses de personnalité, un diagnostic à travers des interviews et des systèmes de questionnement qui nous permettent d’enquêter sur la réalité de l’expérience de la personne, son potentiel, sa vision, ses perspectives. Quand on croise toutes ces informations, avec un certain nombre de batteries de tests de management de personnalité, de psychologie, on en sort un diagnostic qui nous permet de faire un pari que la personne, fort de son passé, de son présent et de la manière dont elle décrit les perspectives peut occuper potentiellement cette fonction. C’est une approche un peu scientifique, mais qui nécessite une approche toute aussi humaine pour que les candidats se révèlent.

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Dans les techniques d’investigation et d’entretien, vous devez avoir un savoir-faire pour que la personne se livre à vous. Si vous faites un entretien ou la personne est crispée, frustrée ou prend une posture, vous n’aurez pas la réalité de l’individu. Puis dans le monde professionnel, on demande un certain nombre de choses à chaque individu, on vous demande d’avoir une compétence pour exécuter une tâche, d’avoir un potentiel pour imaginer des solutions face à des situations que vous n’avez jamais connues. Après, c’est votre personnalité qui fait le reste.

Parfois, lors des recrutements, on met des candidats en situation et on les observe. On pose des questions et ils interagissent puis on analyse, on note, on écoute, on évalue et du coup, on voit les personnes en situation et on complète cela avec les entretiens et les interviews. C’est relativement bien structuré nos recrutements. Ce n’est pas une science du hasard, même si ce sont des sciences humaines, donc des sciences inexactes, mais on essaie le plus possible de limiter le risque d’échec, en nous donnant plus de possibilité lorsqu’on est en situation de diagnostic et d’investigation.

Et dans la méthodologie, est-ce AfricSearch qui part à la recherche des profils exceptionnels ou ce sont les demandeurs d’emplois qui viennent vers vous ? 

Didier Acouetey : Ce sont les deux. Les candidats nous écrivent spontanément pour partager avec nous leur profil, leur CV, mais nous avons de notre côté également une démarche de recherche active des candidats. C’est en fonction des différentes informations mises à notre disposition par le client qui nous confie un mandat de recherche que nous allons rechercher le bon candidat. Le candidat idéal, nous allons le chercher de trois manières : d’abord dans notre base de données, ou par la « chasse ».

La « chasse » consiste à rechercher un candidat sur le marché, à travers des publications, des magazines, les conférences, en les identifiant au sein des entreprises qui sont dans le domaine du client ou des secteurs proches. Nous nous servons aussi beaucoup de nos réseaux personnels. L’autre approche consiste à publier des annonces dans les magazines, sur les réseaux sociaux pour susciter des candidatures. Dans notre métier, il faut rappeler que c’est le client qui paie, et non pas le candidat.

Dans le cadre du processus de diagnostic, quel aspect considérez-vous comme primordial : l’expertise technique (savoir-faire) ou les compétences relationnelles (savoir-être) ?

Didier Acouetey : Les deux sont très importants, le savoir-faire c’est la base. Si vous recrutez un ingénieur pour travailler sur une innovation technologique, il faut qu’il sache déjà faire le job. La compétence est donc le prérequis. Ensuite le savoir être. Maintenant, il peut avoir des postes où l’on n’a pas forcément besoin d’avoir un savoir-faire particulier technique, mais un savoir-faire en matière de coordination, d’animation. Le savoir-faire est donc essentiel, mais aujourd’hui le savoir-être tant à avoir une place prépondérante. C’est ce qu’on appelle les « Soft skills » et on invite les jeunes à développer de plus en plus la capacité à communiquer, l’empathie, le rapport aux autres, la gestion de problèmes complexes, etc. 

Diriger et mener une entreprise au sommet pendant vingt-sept ans comme c’est le cas du Groupe AfricSearch nécessite une équipe solide. Comment avez-vous construit et maintenu une équipe efficace et engagée autour de votre vision ?

Didier Acouetey : Effectivement, ce n’est jamais une aventure facile l’entrepreneuriat. Le point de départ est d’avoir un projet en lequel vous croyez et auquel les autres adhèrent. Notre croyance et notre foi étaient que l’Afrique peut se développer et doit se développer avec ses ressources humaines. C’est ce qui a constitué le fondement du Groupe AfricSearch. Ce n’était pas pour faire du business, mais c’était vraiment pour transformer l’Afrique et donc nous avions une mission et une vision qui constituaient l’ADN d’AfricSearch : transformer l’Afrique avec son capital humain. Une fois que nous avions cette vision, cette ambition et ce désir fort, il fallait trouver des personnes qui avaient la même vision, la même ambition, parce que si vous ne cheminez pas avec des personnes qui partagent la même vision, ça ne marche pas, car les partenaires ou collaborateurs viendront pour des raisons opportunistes et dès que c’est difficile, ils vous quittent. Donc si vous n’embarquez pas des personnes qui ont la même vision et la même perspective en termes de longévité, vous les perdrez assez rapidement parce qu’ils sont sur une vision de court terme.

Aussi, si vous ne motivez pas ces personnes en les embarquant dans l’aventure avec un système de partnership où ils voient qu’ils sont aussi gagnants le jour où l’aventure donnera des fruits, ils ne seront pas assez résilients pour rester avec vous sur la durée parce qu’ils ne verront pas les perspectives de retour sur investissement. Il faut alors trouver le moyen d’associer ces personnes pour le partage des gains lorsque l’entreprise portera ses fruits et ensuite, il faut bien choisir ceux qui vont collaborer avec vous, ceux qui constitueront le noyau du projet et porteront le fardeau avec vous. À AfricSearch, nous constituons une équipe, une famille autour d’un projet, d’une vision avec des associés qui sont là depuis 20 ans. C’est le cas de Joël-Eric Missainhoun, Philip Armerding ou Patrick Placktor qui suivent l’aventure depuis longtemps et d’autres collaborateurs qui nous ont rejoints au fur et à mesure comme Serge Agbekponou qui dirige ce bureau (AfricSearch Lomé). Tous ces associés ou partenaires constituent le socle du Groupe AfricSearch. Ils soutiennent le projet et la vision.

Je suis par ailleurs un homme de terrain ; je suis toujours avec mes collaborateurs. Je ne suis pas un dirigeant aérien dans un bureau quelque part qui ne sait pas ce qui se passe. Je suis de près les missions, j’essaye de motiver les équipes. Finalement, avec ces petites recettes, on a réussi à garder la dynamique de l’entreprise, avec des collaborateurs qui nous quittent et d’autres qui arrivent ; c’est la vie de l’entreprise. Mais globalement, on a réussi à maintenir la flamme avec les équipes, les associés et les partenaires clés, et on continue de développer AfricSearch. Il faut aussi savoir faire des partenariats stratégiques comme ce qu’on a fait avec Alexander Hughes, il y a 5 ans, qui est un cabinet de chasse Européen avec qui nous avons créé une joint venture pour poursuivre notre développement ensemble et créé de nouveaux projets. Aujourd’hui, le groupe AFRICSEARCH-ALEXANDER HUGHES est une grande famille et nous sommes présents dans une cinquantaine de pays dans le monde, avec près 200 collaborateurs, repartis sur plusieurs continents. 

Votre rôle en tant que leader dans la détection de talents et la gestion des ressources humaines pour l’Afrique ne peut être sous-estimé. Dites-nous quels ont été les défis les plus marquants que vous avez rencontrés lors de la croissance de votre entreprise et comment les avez-vous surmontés ?

Didier Acouetey : AfricSearch est à l’image de toutes les entreprises avec son lot de succès et de challenges. Nous avons démarré en 1996. En 1997, ça a été très dur parce qu’au démarrage, on en parlait dans les médias comme étant une innovation majeure, un cabinet de recrutement créé par des africains pour l’Afrique, c’était une innovation à l’époque à Paris et donc on a eu le soutien de la presse, mais le business n’a pas suivi la première année. Au bout d’un an, on a dû tout restructurer le cabinet pour se relancer parce qu’on avait perdu tout le capital. Contrairement à ce qu’on pensait, la première année n’a pas été un succès. Elle a été très dure, malgré un gros investissement. On a tout de même eu des missions. À partir de septembre 1997, on a commencé à réellement rentrer sur le marché avec quelques grands clients comme Coca-Cola, Nestlé… Le processus a commencé à véritablement prendre à partir de fin 1997.

Didier Acouetey

En 1999, on a eu quelques soucis avec un associé, ce qui ramène au choix de ses associés et l’importance de bien les choisir. C’était un associé qui nous avait rejoint entre-temps et a créé la même chose que nous. Il a ouvert un bureau à notre insu pour nous faire de la concurrence déloyale. On a dû passer aussi cette étape qui était assez difficile. Puis dans les années 2000-2001, on a repris encore notre croisière de développement avec des marchés importants comme la Côte d’Ivoire qui constitue pour nous un marché important. 

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En 2002, il y a eu la crise majeure politique ou nous avons perdu quasiment 50% du portefeuille d’activité. Il a fallu rebondir de nouveau et se déployer sur d’autres pays pour ne pas concentrer tous nos mandats sur un seul marché, car la crise ivoirienne nous a servi de leçon et nous a encouragé à créer des bureaux dans d’autres pays pour diversifier l’activité. Nous sommes donc restés à partir de 2003 dans cette dynamique de croissance, de répartition de nos activités sur plusieurs pays et de développement de produits de conseils puis de renforcement des équipes pour ne pas faire que du recrutement. Il y a aussi tout récemment, la période sanitaire de Covid-19 qui a été difficile pour tout le monde, mais globalement, nous sommes sur une trajectoire de développement plutôt saine. Voilà un peu le cheminement du Groupe AfricSearch et on continue notre petit chemin qui a l’air de bien se passer. 

Ces dix dernières années ont été caractérisées par des initiatives de nos nations visant à promouvoir l’entrepreneuriat chez les jeunes en Afrique. Sachant que l’environnement entrepreneurial sur le continent présente souvent des défis uniques, comment percevez-vous son évolution, et quelles tendances prévoyez-vous pour l’avenir en termes d’innovation et de croissance des start-up africaines ? 

Didier Acouetey : L’Afrique est une terre d’entrepreneurs avec beaucoup de jeunes et des patrons qui sont résilients. Vous savez que l’emploi formel dans nos pays, c’est 10 à 15%, parfois moins et donc beaucoup d’entrepreneurs sont dans l’informel. Puis, vous avez une panoplie d’entrepreneurs, de petits entrepreneurs qui constituent 50 à 70% des entrepreneurs qui ont 1 à 3 employés, avec généralement des chiffres d’affaires relativement faibles, 10 à 15 Millions parfois plus bas, 3 à 4 millions et qui se débattent. Le panorama, c’est que l’Afrique est un continent d’entrepreneurs avec plus de 100 millions de TPE/PME dont la majorité sont de très petites entreprises, qui évoluent souvent dans le service de commerce.

L’écosystème en question qui accompagne théoriquement ces entrepreneurs est fait de politiques publiques favorables, des financements à taux réduits, l’accès à des marchés publics, des programmes publics pour soutenir les entrepreneurs, et ça souvent, c’est à fonds perdus parce que sur 20 entrepreneurs, on a peut-être un seul qui est un vrai entrepreneur. À côté des politiques publiques, il y a l’écosystème financier, les banques, les fonds de soutien, les fonds de garantie, les Business Angels qui sont là pour prendre le risque aux côtés de l’entrepreneur. À côté de ça, vous avez les structures d’accompagnement d’appui aux entrepreneurs, les incubateurs, les centres de formation et de développement… qui sont des acteurs importants parce qu’ils vont accompagner l’entrepreneur dans son développement, observer ses limites et mettre à disposition des ressources pour qu’il passe les périodes difficiles. Puis, vous avez les institutions internationales de développement comme la Banque mondiale, la Banque Africaine de Développement, la BOAD, etc. qui sont des acteurs de développement, censés appuyer l’écosystème que je viens de décrire, et quand ces 4 acteurs ne fonctionnent pas ensemble, l’écosystème est moins performant. 

La deuxième composante que j’ai indiquée, les banques, les fonds de soutien, les fonds de garantie, les Business Angels, etc. ne sont pas outillés non plus pour accompagner les start-up et les PME. La structure financière des banques ne leur permet pas de prendre un risque excessif sur les PME et les entrepreneurs. Ensuite, il y a les fonds d’investissement, mais la nature d’un fonds d’investissement l’oblige à prendre ce qu’on appelle des tickets d’un montant élevé quand il investit. Pour prendre des parts dans une entreprise, il ne peut pas mettre moins de 2, 3, 5 ou 10 millions de dollars, pourtant la PME ou le jeune entrepreneur a besoin de 100, 200 ou 500 mille dollars, mais l’articulation du fonds d’investissement ne peut pas lui permettre de le faire. Donc, il ne reste que les amis et la famille qui vont aider un peu, ce qui est insuffisant. Il y a aussi les politiques publiques, les fonds d’appuis publics vers lesquels il est également difficile d’avoir du financement. Après avoir fait ce tour de table, l’entrepreneur se tourne vers de petites compétitions pour gagner 1 ou 2 millions, ce qui est insuffisant. Donc globalement, l’écosystème ne fonctionne pas parce que ces acteurs ne mettent pas les ressources qu’il faut pour accompagner les start-up et les entrepreneurs.

Les statistiques ont démontré par exemple qu’à peine 20 % des financements des PME sont assurés par les systèmes financiers traditionnels et qu’il faudrait 300 milliards de dollars au moins pour accompagner les PME sur le continent. Ce sont des montants énormes et aucun État en Afrique n’arrive à mobiliser autant de ressources pour accompagner les entrepreneurs, les PME et les start-up. C’est pour cela qu’on ne peut pas avoir de grands champions, parce que nous ne soutenons pas nos champions locaux, en revanche, nous soutenons davantage les champions étrangers.

En effet, l’enjeu actuel pour nos pays consiste à développer des champions nationaux. Pouvez-vous nous faire part de vos suggestions à ce sujet ?

Didier Acouetey : Vous savez, quand nous avons commencé avec mon ami Paul Gomes notre aventure en Asie, à Singapour en 2010, l’idée était de s’inspirer des pratiques en Asie du Sud en matière de création de champions pour l’Afrique. Nous avons organisé la même année à Singapour, le premier Forum Asie-Afrique du Sud-Est avec des champions asiatiques et africains en Afrique et en Asie comme Ecobank, NSIA… et nous avons créé en 2013 la première chambre de commerce Afrique – Asie du Sud-Est qui est basée à Singapour. Nous avons d’ailleurs fêté les 10 ans fin août de cette année 2023.

L’idée était très simple, c’était de dire qu’il y a des recettes qui permettent de fabriquer des champions et il faut que l’Afrique s’engage dans cette voie. Il est nécessaire aujourd’hui d’avoir des champions locaux, parce que ce sont eux qui créent les emplois, ce sont eux qui font la transformation structurelle de nos pays et quand il y a des crises, ces champions restent, ils ne partent pas, parce que c’est leur pays, ils ont leurs richesses dans le pays, des familles… Nos gouvernements doivent comprendre que nos premiers investisseurs sont les investisseurs nationaux, les champions locaux qu’ils doivent soutenir à travers des politiques délibérées publiques de soutien, de faciliter d’accès aux marchés publics, de financement de ces marchés et de partenariats stratégiques avec les investisseurs étrangers qui viennent.

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Alors quand on a un programme d’investissements de milliards de dollars dans nos pays, nos États doivent demander à l’entreprise étrangère qui prend le marché qu’elle doit nécessairement être en partenariat avec une entreprise locale qui a l’expertise ou qui va développer l’expertise et dont le dirigeant est assez sérieux pour exécuter à ses côtés la mission. Et le marché d’après, c’est cette entreprise locale qui a développé l’expertise qui va exécuter le projet si le dirigeant est sérieux. La question des champions locaux est par conséquent essentielle pour développer les pays. 

La croissance des start-up africaines est justement le combat que vous menez à travers l’Africa SME Champions Forum, dont la 8è édition s’est tenue cette année, les 5 et 6 octobre dernier à Lomé. Après une 7e édition à Kampala, en Ouganda, pourquoi le choix de la capitale togolaise pour cette 8e édition ?

Didier Acouetey : Le forum s’organise chaque année dans un pays du continent africain. On avait fait l’Afrique de l’Ouest au tout début. Dakar 2014, Côte d’Ivoire 2016, puis on est resté en Afrique de l’Est et en Afrique du Sud, parce que ce sont des pays où il y a une bonne dynamique du secteur privé qui permettait de renforcer le positionnement du Forum. Nous avons souhaité  revenir en Afrique de l’Ouest francophone et nous avons choisi le Togo, parce que, quoi qu’on dise, le Togo est un carrefour commercial, bancaire, aéroportuaire, aéronautique…

Nous sommes aussi dans une région où il y a beaucoup de crise, au Mali, Burkina, Niger… et pour nous c’était important de redonner espoir aux secteur privé ouest-africain en organisant le forum en Afrique de l’Ouest et en prenant le Togo qui est un pays d’entrepreneurs. Vous connaissez également l’histoire des NANAS BENZ, dont la dernière est partie cette année ; c’était aussi un hommage à ces femmes entrepreneures togolaises, parce que les femmes sont au cœur des économies en Afrique.

Alors, est-ce que les objectifs que vous vous êtes fixés avant le lancement de cette 8e édition ont été atteints ?

Didier Acouetey : Les objectifs du forum ont été globalement atteints, puisqu’il s’agissait de réunir l’écosystème pour les PME et puis une sélection de PME Togolaises et étrangères. On a eu plus 400 participants sur les deux jours avec plus de trente pays représentés. Nous sommes donc globalement satisfaits et les participants ont semblé également avoir apprécié les contenus, surtout les Masterclass.

Une convention d’assistance aux PME togolaises d’une valeur de 10 milliards de FCFA entre le Togo et la BADEA a été signée lors de ce forum. Pouvez-vous nous expliquer comment est-ce que les PME pourront bénéficier de ces fonds ?

Didier Acouetey : Le processus de discussion entre le gouvernement togolais et la BADEA va s’enclencher prochainement par rapport au fonds que la BADEA va mettre à la disposition du Togo en faveur des PME. Il faut quand même insister sur le fait que c’est un prêt à un taux concessionnel avec une petite enveloppe également sous forme de don, mais l’articulation de ces 10 milliards doit se faire de concert avec l’État et les parties prenantes comme le secteur privé, notamment et d’autres partenaires qui s’intéressent aux questions des PME à l’instar du patronat, afin que les 10 milliards une fois que la convention de financement sera finalisée, que les parties déterminent quelle part pourrait aller en capital investissement, quelle part pourrait aller en dette, quelle partie pourrait aller en garantie et quelle partie serait de l’assistance purement technique. Le principe des 10 milliards de la BADEA est un principe qui avait été admis par les deux parties ; maintenant, il faut rentrer dans les discussions opérationnelles.

Africa SME Champions Forum
8e édition de l’Africa SME Champions Forum – signature entre le Togo et la BADEA

En entrepreneuriat, la croissance d’une start-up est souvent liée à la cession des parts sociales et l’ouverture du capital qui est l’une des préoccupations majeures pour la plupart des jeunes entrepreneurs. Existe-t-il un moment opportun pour accueillir des investisseurs au sein de son entreprise ?

Didier Acouetey : C’est généralement quand l’entreprise commence à accélérer sa croissance et qu’elle sent les limites de ses ressources financières qu’il faut qu’elle pense à intégrer des investisseurs ou des associés. Généralement, il y a deux pistes : soit des individus, soit un fonds d’investissement ou une institution qui investit dans votre entreprise. Pour faire cette croissance, l’endettement bancaire n’est pas la solution durable, parce que c’est une ressource qui est sur du court terme et qui est chère. 

Pendant la croissance, l’entrepreneur doit chercher un investisseur qui vient pour une longue durée avec des ressources peu chères. C’est là justement qu’il faut chercher un fonds d’investissement, ou du capital risque. Dans tous les cas, il faut bien choisir ses associés, des personnes qui partagent votre vision, la même durée de vie en termes de projet que vous, car si vous faites de mauvais choix, ce sont eux qui deviendront les sources de problème de votre entreprise.

Didier Acouetey, vous qui avez effectué plusieurs voyages à travers le monde, où vous sentez-vous le plus à l’aise ?

Didier Acouetey : Chaque pays à ses particularités, j’aime des choses particulières dans chaque pays que je fréquente. Je suis né à Lomé, donc c’est toujours un plaisir de revenir chez moi. Quand je vais à Abidjan, il y a des endroits que j’aime beaucoup, en Afrique du Sud, à Singapour ou à New York, c’est pareil. En gros, il y a une part de moi dans plusieurs pays du monde, mais comme on le dit souvent, on ne se sent bien nulle part ailleurs que chez soi et donc finalement le Togo est toujours l’endroit où je me sens mieux, parce que j’ai grandi à Lomé, il y a des choses et des endroits de mon enfance que j’aime particulièrement.

Ce fut un plaisir de passer ces moments d’échange avec vous. Quel est le message que vous voulez transmettre pour mettre fin à cet entretien ? 

Didier Acouetey : Ma conviction, c’est que l’Afrique, par sa géographie, ses richesses humaines, naturelles, sa jeunesse est forcément le continent d’aujourd’hui et de demain. Il s’avère simplement que nous avons eu des accidents historiques qui nous ont empêché de réaliser les potentiels de l’Afrique, contrairement aux autres pays du monde. Il est temps qu’on réalise ce potentiel de l’Afrique, surtout à travers sa jeunesse et les bonnes politiques publiques.

Ce qu’on a pu voir récemment au Gabon ne peut qu’être désespérant pour les jeunes du continent, pareil pour le drame en cours dans les pays du sahel. Si nous avons un minimum de bonne gouvernance dans nos pays, et qu’on investit massivement sur la jeunesse en matière d’éducation, de formation, et qu’on croît dans nos secteurs privés, nos PME, je crois réellement qu’on peut réaliser le potentiel de l’Afrique avec en plus l’industrialisation du continent. Alors mon message, c’est qu’on doit croire en l’Afrique, parce que c’est ici que l’histoire du monde va se rejouer comme dans le passé. Sauf qu’aujourd’hui, lorsqu’ l’on montre l’image de l’Afrique, ça ne donne pas envie d’y croire et c’est pourquoi les médias comme les vôtres sont importants, parce que vous donnez une autre image de l’Afrique pour que l’on commence à y croire de nouveau, à s’engager et à s’investir.

Donc le message, c’est croire en l’Afrique, c’est s’engager pour l’Afrique et que nos gouvernants soient plus rigoureux dans la manière dont les pays sont gérés et la manière dont les ressources sont utilisées au profit des populations pour répondre aux enjeux d’éducation et de développement social. Et si chacun d’entre nous s’y met, peut-être que dans 10, 15, voire 20 ans, nous pourrions y arriver.

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