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Interview : Kayi Dogbé, femme de paix et de justice

Kayi Dogbé Kayi Dogbé
Kayi Dogbé est l'invitée du 22e numéro du magazine Ocean's News

Meilleure Femme leader au “Togo Top Impact 2021”, Kayi Dogbé a profondément marqué le Togo l’année écoulée et continue par impressionner en ce début 2022. Ce que l’on retient surtout d’elle, c’est son pragmatisme et sa volonté d’apporter soutien et expertise à la jeunesse de son pays.

Aujourd’hui, tous les Togolais le notent, du moins, la majorité : Kayi Dogbé est une femme de paix et de justice, un modèle pour les plus jeunes et une citoyenne africaine qui milite depuis des années pour l’autonomisation et le développement de la femme, de la jeune fille et de l’enfant vulnérable, à travers l’Association Femmes Chrétiennes Unies dans l’Action, dont elle est la présidente fondatrice. Pour ce premier numéro du magazine Ocean’s News, version 2022, nous sommes allés à sa rencontre pour découvrir son histoire et ses perspectives pour cette nouvelle année.

Mme Kayi Dogbé, c’est pour notre rédaction un honneur de vous avoir comme figure de la première parution du magazine Ocean’s News version 2022. À nos chers lecteurs et lectrices, présentez-vous svp. 

Kayi Dogbé : Je voudrais tout d’abord vous réitérer ma gratitude pour cet intérêt porté à ma modeste personne. Alors, je suis citoyenne togolaise ! Citoyenne africaine, femme engagée, titulaire d’un Master en Droit public et d’un Master en gestion de projets, enseignante, formatrice et Présidente de l’Association Femmes Chrétiennes Unies dans l’Action, une association qui contribue modestement à l’autonomisation et au développement de la femme, de la jeune fille et de l’enfant vulnérable. Très attachée au beau et au raffinement, je déteste la médiocrité et la médisance. J’ajouterai volontiers que je suis une passionnée d’art et de culture, j’aime la peinture, la photographie, la lecture, la musique et tout naturellement tout ce qui a trait au vêtement et à la mode.

Quand on vous définit comme une personne éprise de paix et de justice, quel sens cela a pour vous, de manière pratique et compréhensible ? 

Kayi Dogbé : Qui ne veut pas vivre dans un monde paisible et agréable ? Chacun de nous aspire à un monde vivable, agréable et sans conflits. Seulement est-ce que nous y travaillons réellement ? C’est là que la justice pour moi a tout son sens. C’est la juste mesure du mérite pour chacun quel qu’il ou qu’elle soit. La justice est dès lors arrimée à la paix qui est menacée dès que l’injustice s’installe. « La justice écoute aux portes de la beauté » disait Aimé Césaire et « toutes les vertus sont comprises dans la justice : si tu es juste, tu es homme de bien. » Renchérit Théognis de Mégare (Poète grec du VIe siècle av. Jésus-Christ) alors que pour Victor Hugo, « Faire justice est bien. Rendre justice est mieux ».

Tous ces grands hommes immortalisés par leurs pensées, qui m’inspirent d’ailleurs beaucoup, sont d’avis ensemble avec Platon et Aristote, Martin Luther King et Nelson Mandela, que la justice, c’est beau, c’est bien et le beau met bien naturellement. La paix se nourrit dès lors de justice et d’équité et nous en avons besoin pour vivre dans la paix. En résumé, donnez à César ce qui est à César et nous vivrons dans une paix universelle et durable. 

Aujourd’hui connue en tant que juriste, mais surtout en tant que femme africaine engagée qui se bat pour le droit des femmes et des jeunes filles vulnérables, quelle est votre histoire ? Ou devrais-je dire, votre parcours ? Racontez-le-nous. 

Kayi Dogbé : Humm, j’essaierai de faire court. C’est l’histoire d’une petite fille issue de l’union de deux êtres de lettres qui vivait une vie paisible dans un cocon familial. Nos parents ont su très tôt nous inculquer le goût de l’excellence, de la crainte de Dieu et donc naturellement de la justice et de l’honnêteté. Mes parents, instituteurs et donc éducateurs, hébergeaient à la maison des cousins et cousines, des enfants souvent de familles monoparentales qui étaient sous la responsabilité de notre père aidé par notre mère pour leur éducation. Très tôt, j’avais des frères et sœurs qui n’étaient pas de la famille, mais avec qui nous avions tissé des liens de famille. Liens que nous avons gardés jusqu’à présent. L’honneur et la dignité pour mes parents devaient passer avant tout et n’étaient pas négociables. Très tôt et très jeune, je fus confrontée à ma première rude épreuve, la perte de mon père à l’âge de 12 ans. J’étais en classe de 5e…

Kayi Dogbé
Kayi Dogbé est l’invitée du 22e numéro du magazine Ocean’s News

Ma mère, de la manière la plus stoïque qui soit, a pris le relais, seule avec 3 filles à élever et à éduquer. Ça n’a pas été facile. J’aimais déjà à l’époque, tout ce qui est raffinement et je me souviens qu’on se cachait pour aller faire du portefaix dans le quartier afin de gagner un peu d’argent de poche. Je donnais également des cours de répétition aux jeunes enfants du primaire. Ma mère répétait souvent avec une foi inébranlable qu’elle fera tout pour qu’on aille au bout de nos études. La base était déjà solide pour les 3 filles que nous étions. Sa seule crainte était qu’aucun garçon ne vienne nous séduire et c’était connu dans notre quartier qu’on ne doit toucher à aucune fille de Dahui comme on aimait l’appeler dans le quartier. Elle n’hésitait pas à aller menacer subtilement les garçons indélicats qui osaient la défier, – en présence de leurs parents. Ma mère était une grande philanthrope. Elle était très pieuse et avait une grande humanité en elle. Elle donnait aux plus pauvres tout ce qu’elle avait, je dis bien tout et pour se défendre, elle disait qu’ils en avaient plus besoin qu’elle. Vous remarquerez que j’invoque beaucoup ma mère, de regrettée mémoire, car elle a beaucoup semé en nous, elle a bâti la majeure partie de ma personnalité et de mon caractère, la fondation est solide et de qualité. Je leur jette toujours des fleurs chaque jour que Dieu fait, elle et son défunt mari. Oui, j’avais des parents très sévères, mais aujourd’hui, je suis fière d’eux et contente du résultat. 

Après mon BAC littéraire, j’ai commencé la faculté de droit à l’Université de Lomé (ex-Université du Bénin-UB) avant de choisir l’Ecole Supérieure de Secrétariat de Direction, un cycle plus court qui m’offrait l’opportunité de commencer à travailler immédiatement avec ma licence professionnelle. La raison est toute simple. Ma mère était tombée gravement malade et dès le lycée, mes sœurs et moi, nous nous relayions à ses côtés à l’hôpital. En fac de droit, le plus clair du temps, je passais la nuit à l’hôpital et le matin, je m’assurais de la toilette, la prise de médicaments, la nourriture et d’éventuelles analyses à faire avant de regagner l’université. Combien de fois n’ai-je pas été sifflée en amphi et jugée à tort lorsque je venais au cours en retard ? Seuls, ceux qui étaient proches de moi savaient que je jouais aussi le rôle d’infirmière. Un moment éprouvant de ma vie qui a fortement contribué à ma force de caractère.

Ma carrière professionnelle a débuté il y a 25 ans dans le secteur maritime après un bref détour dans le domaine de l’expertise comptable. J’ai ainsi affiné mes réflexes de technicien en assistance managériale. J’ai appris le marketing et la gestion de la relation client et découvert le monde maritime, d’abord à SAGA-TOGO (actuelle Groupe Bollore), ensuite à P&O Nedlloyd où j’ai été customer service desk à l’exportation puis assistante du Directeur Général Togo-Bénin et Responsable du claims Département. Après, j’ai rejoint pour une brève durée Maersk Line à la faveur de la fusion avec P&O Nedlloyd. J’ai démissionné pour intégrer une organisation onusienne où j’ai passé plus de 15 ans. J’ai travaillé sur le Programme national modernisation de la justice en qualité d’assistante administrative et financière et ensuite à l’unité gouvernance démocratique du PNUD, un poste qui nécessitait une grande confidentialité, une discrétion absolue et l’excellence. 

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Il n’y a pas d’âge pour réaliser ses rêves, on peut reprendre les études à tout moment et à n’importe quel âge, pourvu qu’il y ait une forte volonté et un soutien d’acier autour de soi. Pour ma part, femme et mère comblée, j’ai pu reprendre mes études universitaires après plus de 10 ans. J’ai préparé et obtenu, en plus de ma licence professionnelle, une licence en gestion commerciale et financière, une licence en droit public, une maîtrise en gestion commerciale et financière et deux masters : un en droit public et un en gestion de projets. Je continue d’ailleurs aujourd’hui pour préparer mon doctorat en droit public. J’y suis arrivée aussi parce que les miens croyaient en moi et me donnaient de la force. Le ciel m’a donné des enfants dociles et un homme qui me soutient et m’a poussé à cette meilleure version de moi. J’en suis très reconnaissante. 

Alors, ce combat pour le droit des femmes et des jeunes filles vulnérables, quand a-t-il pris forme, quel a été le déclencheur ?

Kayi Dogbé : Toute petite, je combattais l’injustice à l’école comme à la maison à telle enseigne que tout le monde disait que je serais avocate. L’injustice m’attristait profondément et continue de m’attrister d’ailleurs. Pour moi, l’injustice, c’est la lâcheté des plus forts envers les plus faibles, et ça doit cesser. Que ce soit en famille ou pour des inconnu.es, dès qu’une situation est portée à mon attention, j’essaie de le résoudre par moi-même, par mes sœurs, des amis ou encore des connaissances. La plupart du temps, ce sont les frais et fournitures scolaires ou les soins médicaux que les parents ou les tuteurs n’arrivent pas à assumer faute de moyens. 

Souvent, l’instinct me parle et me dit que si nous ne faisons rien, l’avenir de ces jeunes garçons et jeunes filles sera hypothéqué alors que personne ne sait à quelle grande gloire ils ou elles sont prédestinées. Il y a également les femmes victimes de violences et des veuves et orphelins en conflit avec la belle-famille sur la succession. Ne connaissant pas la loi, ils se font spolier souvent par la belle famille qui confond les biens du défunt au patrimoine familial. En 2019, eu égard à l’ampleur des requêtes, surtout des jeunes filles victimes de chantages et de viols, j’ai décidé avec quelques consœurs d’institutionnaliser cette lutte en créant l’association Femmes Chrétiennes Unies dans l’Action.

Justement, était-ce pour vous une manière de concrétiser et de rendre officiel ce combat ? 

Kayi Dogbé : Absolument, il fallait voler au secours de cette tranche vulnérable de la population parce que nous avons encore quelque chose à donner. J’ai souvent l’habitude de dire qu’une bonne frange de notre jeunesse est en faillite morale et sans repères ni référence. Au-delà des finances, c’est l’appui moral et psychologique, c’est l’assistance judiciaire, c’est l’apport en information, formation et sensibilisation sur toutes les thématiques d’actualité qui touchent la société notamment la Covid-19, l’éducation sexuelle des jeunes filles et garçons, les droits humains, les droits des femmes, les droits et devoirs des enfants et des jeunes, les réseaux sociaux, le savoir-vivre, la communication non-violente, le leadership transformationnel ; les valeurs morales, éthiques, civiques et citoyennes, l’éducation et le rôle des parents.

Parlez-nous donc de l’association Femmes Chrétiennes Unies dans l’Action. Plus concrètement, qu’est-ce que c’est ? 

Kayi Dogbé : C’est un regroupement de femmes, comme son nom l’indique, qui œuvre dans l’appui à la femme, à la jeune fille et à l’enfant vulnérable. Notre zone de prédilection, ce sont les villages et les hameaux reculés où la fracture sociale est plus perceptible. Ils sont souvent très contents de nous voir. Concrètement, à l’apparition de la crise sanitaire qui coïncidait avec notre officialisation, nous avons contribué à la lutte contre la Covid-19 dans une vingtaine de villages et écoles, nous avons soutenu le concours national du Slam contre la Covid-19. Nous avons offert aux écoles, orphelinats et églises des dispositifs de lave-mains automatiques, des flacons de solution hydroalcoolique, du savon liquide et des masques.

Nous appuyons les élèves en fournitures et uniformes scolaires dans les villages, nous soutenons les orphelinats, nous appuyons les écoles en matériels et fournitures didactiques, les dispensaires en matériels de première nécessité et nous organisons des événements pour promouvoir la paix et le vivre ensemble au Togo comme des séances de prières et des concerts. « Que l’Eternel bénisse le Togo » est, par exemple, un concept que nous avons développé pour célébrer la fête de l’indépendance dans la prière et la louange afin de recommander les dirigeants et les Togolais à la ferveur divine. 

Au-delà de ces activités collectives, il y a également des appuis individuels pour des élèves et étudiants vulnérables, les femmes en situation de vulnérabilité prononcée, des femmes victimes de violences et des veuves et orphelins spoliés. Des hommes vulnérables bénéficient également de nos appuis pour démarrer une activité génératrice de revenus. Notre association est aussi ouverte à toutes les religions, car notre Dieu n’est pas religion, mais Il est amour et paix. La preuve est que pendant le mois sacré du jeûne musulman, nous étions allés soutenir nos frères et sœurs à Zongo, à Aného, une commune à 45 km de Lomé, pour leur témoigner notre solidarité et leur demander de nous porter dans leurs prières. En outre, nous mutualisons nos appuis avec d’autres associations et structures lorsque les objectifs sont les mêmes. C’est ainsi que nous étions aux côtés de Nanagan, le concours sous régional dédié à l’élégance et la valorisation de la femme africaine, du Sommet National du Leadership Féminin, du projet HairiTage qui promeut le leadership et l’acceptation de soi, du projet de formation, de sensibilisation sur l’éducation de qualité, l’entrepreneuriat, la citoyenneté et la cohésion sociale.

Qui peut y adhérer et combien de membres comptez-vous à cette date ? 

Kayi Dogbé : Toute personne femme qui peut honorer les engagements de l’association, surtout les cotisations sont les bienvenues parce que nous n’avons pas de financement et c’est avec des cotisations mensuelles et spéciales que nous fonctionnons. Les hommes sont également acceptés en qualité de membres d’honneur. À ce jour, nous sommes une cinquantaine pour le moment et une centaine de sympathisantes et sympathisants. Nous avons également beaucoup de dossiers en attente.

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À la création de l’association “Femmes Chrétiennes Unies dans l’Action” il y a trois ans, quels étaient vos objectifs, votre principale mission ? 

Kayi Dogbé : Apporter notre modeste contribution à l’édifice national et contribuer à réduire les inégalités sociales à travers la formation, l’information et la sensibilisation aux droits de l’homme, particulièrement aux droits de la femme et de l’enfant, la promotion des valeurs morales, civiques, éthiques et citoyennes, encourager la jeunesse à travers la promotion de l’entrepreneuriat et l’appui aux plus vulnérables. J’avoue en toute humilité que sur le terrain, le travail qui nous attendait dépassait nos prévisions. Les attentes des jeunes sont énormes et nous prions le Très-Haut de nous donner l’énergie et la sagesse nécessaire pour combler ces attentes.

En trois ans d’existence, quel est le bilan que vous dressez ? Satisfaisant ? 

Kayi Dogbé : Nous avons commencé à évoluer dans un contexte marqué par la crise sanitaire à COVID-19, un virus qui a chamboulé le monde à tous égards et a fragilisé encore plus certains groupes déjà vulnérables. Je salue l’expertise et la rapidité de l’Etat togolais pour les mesures prises pour faire face à cette crise. De notre côté, nous avons apporté notre modeste et symbolique contribution et au fur et à mesure que nous avançons, les défis et les attentes vont en grandissant. Nous avons le goût d’un perpétuel recommencement. 

Néanmoins, les résultats et le bilan à date sont satisfaisants. C’est toujours beau de mettre un sourire sur un visage et un cœur par nos actions. Pour le moment, nous sommes focus, concentrés sur le Togo où nos modestes moyens n’arrivent pas à couvrir tout le territoire. Nous avons quand même reçu récemment des offres de collaboration de sœurs du Bénin et du Burkina Faso et nous sommes en train d’explorer également des opportunités en Côte d’Ivoire. Mais la priorité du moment reste les villages et les coins reculés du Togo.

Avez-vous des soutiens du gouvernement ? Travaillez-vous en collaboration avec les autorités togolaises dans le cadre de vos missions ? 

Kayi Dogbé : Sur la plupart des actions qui méritent d’être portées à l’attention du gouvernement, nous le faisons et de façon systématique. Oui, nous avons le soutien du gouvernement même s’il n’est pas financier pour le moment. Nous sommes honorés par les encouragements, les facilitations administratives et la reconnaissance de notre modeste effort.

En 2021, vous êtes l’une des personnalités togolaises qui a été la plus proche de la jeunesse, en soutenant justement leurs différentes initiatives : le “festival Demain il fera beau” ou encore le “Fimo 228”, qui a lieu récemment. Quel est votre regard sur cette jeunesse togolaise qui a du mal à s’en sortir malgré les efforts consentis ? 

Kayi Dogbé : Notre jeunesse est en éveil et n’est pas encore à la plénitude de sa capacité. Les jeunes filles et les jeunes garçons ont besoin aujourd’hui d’avoir sous leurs yeux des repères, des modèles, des références qui ont réussi afin de pouvoir partager avec eux leurs craintes, leurs victoires, mais aussi leurs échecs, car l’échec est mère des victoires. 

Notre jeunesse est vive et consciente du fait qu’il faut travailler dur pour prétendre avoir une part du gâteau, quoiqu’il y ait encore aujourd’hui une partie de la jeunesse qui reste sur son petit nuage, en train de rêver en cherchant le gain facile. Il faut continuer la sensibilisation, sensibiliser également les parents, premiers éducateurs, sur la responsabilité de construire une nation responsable en inculquant à leurs enfants dès le bas âge les valeurs morales, civiques et citoyennes ainsi que l’approche basée sur le genre, les droits humains et la protection de l’environnement. Ils doivent absolument casser les stéréotypes et les préjugés sur les filles et garçons. Oui, ça doit commencer très tôt pour que l’on puisse rêver d’avoir une jeunesse savante et équilibrée.

Face au coût de la vie, l’une des portes de sortie de la jeunesse aujourd’hui est l’auto-emploi qui s’exprime le plus par l’entrepreneuriat. Vous vous définissez justement comme une citoyenne qui soutient l’entrepreneuriat des jeunes au Togo. Alors, dites-nous, pensez-vous réellement que les jeunes entrepreneurs togolais ont de l’avenir ? 

Kayi Dogbé : Henri Bergson disait que l’avenir n’est pas ce qui va arriver, mais ce que nous allons faire. Si nous ne faisons rien, il n’y aura pas d’avenir. Et ne pas avoir d’avenir, c’est perdre espoir et c’est comme accepter la sentence de l’éradication de la surface de la terre. L’avenir se façonne, se construit et se bâtit dans le présent. Oui, les jeunes entrepreneurs togolais ont de l’avenir, oui, nous avons de l’avenir. Les idées sont là, les innovations aussi, il reste l’encadrement et le gouvernement togolais fait énormément dans ce secteur. Nous aurons de l’avenir si nous cultivons l’avenir. Cultiver l’avenir, c’est renoncer à l’autoflagellation. Construire l’avenir, c’est produire ce que nous consommons et consommer ce que nous produisons.

En clair, nous devons augmenter les exportations et diminuer les importations, travailler sur la qualité de nos produits et les rendre compétitifs sur le marché extérieur. L’assurance de cet avenir passe également par l’accessibilité et la fluidité des réseaux de communication et l’accès au crédit qui demeure une bien épineuse problématique.

Alors comment expliquez-vous que les entreprises togolaises portées par les jeunes du pays ont du mal à prendre leur envol ? 

Kayi Dogbé : Aujourd’hui dans un monde en perpétuelle mutation, en pleine globalisation et digitalisation, il est extrêmement important de professionnaliser nos secteurs. Les jeunes ne peuvent pas prospérer en cheminant seul par exemple. Tout est une question de réseau. Les Chinois et les Indiens l’ont compris. Sans la solidarité, nous n’irons nulle part. Déjà que nous ne sommes pas nombreux, il faut que les entrepreneurs togolais se soutiennent mutuellement et il y en a beaucoup qui ont compris et qui le font, mais ça doit devenir viral pour porter les fruits. Ensuite, il y a la gestion de la proximité du client, le CRM (Customer Relationship Management) à améliorer, la qualité de la présentation du produit. 

La vie, c’est d’abord un jeu avant d’être un combat. La vie est comme un match de football sauf que dans la vie, on est souvent attaquant, ailier, défenseur, milieu de terrain, gardien de but et parfois arbitre et entraîneur à la fois. Ça dépend de la situation à laquelle on est confronté. Pour réussir, il est important de choisir tout poste sauf être dans les gradins pour applaudir ceux et celles qui jouent. Il est important de choisir de jouer et d’applaudir les coéquipiers ou les adversaires. Le moment viendra et ils vous applaudiront également. Si vous restez agrippé aux grilles des gradins, personne ne vous remarquera. Alors les portes de l’avenir sont ouvertes à ceux qui savent les pousser (Dixit Coluche). 

Pour se dédouaner, la jeunesse a tendance à rejeter le tord sur nos dirigeants qui selon eux “n’accordent pas assez de soutien aux jeunes entrepreneurs togolais et à leurs initiatives”. Vous êtes de cet avis ? 

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Kayi Dogbé : Aucunement, aide-toi, le ciel t’aidera, cette maxime résume tout. Certes, le bien-être de la jeunesse incombe à chaque Etat au nom de ses fonctions régaliennes, mais l’Etat ne se substituera pas à la jeunesse. Le gouvernement togolais fait énormément pour soutenir l’entrepreneuriat et surtout l’entrepreneuriat des jeunes. Il y a un programme de bourses et d’excellence des jeunes en cours avec Madame le Premier ministre, il y a aussi le Programme d’Excellence pour les Femmes en Afrique (PEFA), il y a le FAIEJ et beaucoup d’autres programmes d’accompagnement des jeunes initiés par l’Etat togolais. Souvent, les jeunes n’ont pas l’information ou n’ont pas la bonne information. Il faut également qu’ils aillent à l’information de ce qui se passe autour d’eux. C’est une curiosité très payante.

J’entends les phrases du genre, je veux bien entreprendre, mais je n’ai rien pour commencer. Ça ne marchera pas. Pour entreprendre, il faut d’abord avoir quelque chose avant de chercher de l’aide. Il faut l’enquête de faisabilité, l’étude de marché, il faut que le projet soit écrit noir sur blanc avec les différentes parties, l’analyse des risques et des hypothèses. Le business plan, il faut l’élaborer ainsi que la stratégie de mobilisation des ressources et le plan de garantie. Beaucoup de jeunes se jettent dans l’entrepreneuriat comme ils ont commencé l’école. Oui, nous tous, nous nous sommes retrouvés à l’école sans savoir exactement où nous allons et c’est au lycée ou à l’université, pour celles et ceux qui y sont allés, qu’on commence à faire des projets de vie professionnelle. Une idée de business, c’est bien, mais il faut encore le transformer en un projet.

Vous convenez toutefois que tout le monde n’est pas destiné à entreprendre, car l’entrepreneuriat à bien de réalités que cette jeunesse ignore avant de s’y lancer. Quelle est selon vous la solution à ce problème ? 

Kayi Dogbé : Je le disais tantôt, pour entreprendre, il faut avoir le mental solide et un projet solide qui tient la route. Tout le monde peut entreprendre, mais tout le monde ne peut pas réussir en entrepreneuriat, car l’entrepreneuriat nécessite une discipline, une rigueur et une force de caractère. C’est un peu comme un jeu d’échecs. Pour commencer, il faut pouvoir détecter son talent. C’est une erreur gravissime de se lancer dans une aventure entrepreneuriale parce que ça réussit chez l’autre. Pour toutes celles et tous ceux qui disent qu’elles ou qu’ils n’ont rien et que rien ne leur réussit, c’est parce qu’ils n’ont pas creusé, fouillé et bêché comme la fable de Jean de la Fontaine qu’on apprenait par cœur au primaire. 

Kayi Dogbé
Kayi Dogbé est l’invitée du 22e numéro du magazine Ocean’s News

J’ai souvent l’habitude de dire que nous sommes toutes et tous riches de quelque chose. Le Créateur Dieu a donné au moins un talent à chacune et chacun de nous. Ça dépend de ce qu’on en fait, de comment on le cultive, on l’entretient, on le fructifie. Encore faut-il découvrir son talent pour le bonifier. Si l’on est prédestiné pour la restauration et l’hôtellerie et on choisit de partir à l’aventure, ça ne marchera pas. Les gens reviennent bredouilles, à la case départ, parce qu’ils ont forcé leur destin. Je profite de cette tribune pour lancer un cri de cœur aux parents de ne pas forcer le destin de leurs enfants. Après le caprice de “je voulais un garçon, j’aurais préféré avoir une fille”, vient celui de “Mon enfant sera médecin, mon enfant doit prendre la relève de mon entreprise, ma fille n’a qu’à laisser les études pour me suivre au marché, c’est ce que j’ai fait pour les nourrir. Je vais la marier, de toute façon, ses études ne me serviront pas.” Chers parents, laissez éclore en vos jeunes enfants leurs talents, Suivez-les et accompagnez-les à concrétiser leur destinée, celle à laquelle elles et ils sont prédestinés.

Quel est votre message à l’endroit de cette jeunesse dont les initiatives et les efforts sont louables, mais qui peinent à “sortir la tête de l’eau”, comme on le dit dans le jargon ? 

Kayi Dogbé : D’abord, le travail, la détermination, l’effort continu, les études. Je dis souvent à mes jeunes que même si c’est pour vendre du charbon, faites des études supérieures, vous verrez la différence avec celui qui n’a pas eu cette chance. Ensuite, il faut croire en soi, avoir de l’assurance, avoir foi en soi et en sa méthode et savoir que l’on est sur la bonne voie. Il est également vital de cultiver l’humilité, de prendre du recul pour questionner son moi et d’avoir la sagesse de demander conseil lorsque ça ne va pas.

Enfin, les valeurs, très importantes, l’honnêteté, la patience. Le respect des autorités, le respect des aînés, le respect des emblèmes de la nation et ne jamais maudire la terre qui nous a offert une identité, une patrie, la terre dans laquelle nous puisons nos racines et notre force. La terre sans laquelle nous serons des apatrides. Il faut également éviter les pièges du gain facile. Les phrases du genre “dors dans ta chambre, ton smartphone va te ramener 1000 dollars par semaine” doivent cesser cette année.

Alors Kayi Dogbé, voudriez-vous partager avec nous vos perspectives pour cette nouvelle année ? 

Kayi Dogbé : Pour cette année, je viens de boucler le FIMO228, tout de suite après, il y aura la célébration du 8 mars. Entre autres activités aussi – l’accompagnement de la jeune femme leader 2021 et de toute la communauté Nyonufia JFL en ma qualité de femme d’influence 2021. Le concours international de l’excellence du Leadership Féminin, un programme qui promeut la paix, le concert gospel “que l’Eternel bénisse le Togo” 2e édition le 27 avril, la célébration de la Journée internationale de l’enfant africain et la célébration de la Journée internationale de la femme africaine en mai et juin. Viendra ensuite la seconde édition du Lomé Men’s Fashion Week, dédiée à la mode masculine.

Cette année, nous avons également décidé de soutenir encore plus les jeunes. Nous avons décidé que nous ne distribuerons plus les fournitures scolaires pour partir et revenir l’année prochaine. Nous allons sélectionner 5 enfants par établissement que nous allons suivre durant toute l’année scolaire. Nous avons par ailleurs des visites programmées dans les orphelinats en plus des conférences et des rencontres des jeunes. Évidemment, pour faire tout ça, il faut des finances et je lance un appel aux partenaires pour nous soutenir.

Mme Kayi Dogbé, ce fut un réel plaisir pour ma rédaction et moi de vous recevoir pour ce premier numéro de l’an 2022. Nous vous souhaitons une année remplie de succès dans vos diverses initiatives. 

Kayi Dogbé : Merci beaucoup, c’est un plaisir partagé et en toute humilité, au nom de toute mon équipe, je vous renouvelle nos remerciements et vous souhaite une fructueuse année. Qu’elle soit meilleure à la précédente à tous égards. Merci. 

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